Magazine Journal intime

En Direct de la caillasse

Publié le 08 novembre 2012 par Eric Mccomber
Vivre. Mais… Mais voilà. Pourtant, le blues, ça me connait. Mais non, là, c'est du nouveau. Je suis en pleine dévolution. En pleine ruine. On dirait que la longue suite des maladies, des tristesses et des raclées est en train d'avoir raison de moi. Je ne sais plus me relever. Je ne sais plus passer outre. Je ne m'en veux pas trop. J'ai vraiment tenté le coup. J'ai suivi mes étoiles. J'ai roulé ma bosse. Je sais maintenant que je porte en moi une sorte de malheur. Je suis marqué. Un monstre somme toute ordinaire, peu montrable, lassant, pas très lumineux.
Tout est là, j'ai réuni à nouveau au prix d'efforts surhumains les outils, les palettes, les couleurs et les canevas mais je n'ai aucune ressource pour reprendre les pinceaux. Je colmate jour après jour les avaries les plus urgentes. J'écope tant bien que mal et je me contente d'aller dormir content que le vaisseau entier ne repose pas de par le fond. J'ai puisé dans mes ressources, vidé mes amitiés, épuisé mes rêves, fatigué mes fantasmes, tué mon désir.
Il y a d'innombrables histoires simples. Jojo découvre la corde à danser. Il maîtrise un peu le truc, le montre à ses voisins, l'un de ceux-ci est un gros monsieur à cigare, Jojo devient un nom évoqué dans les salons de Tokyo à Santiago en passant par Anchorage et Hebertville Station. La mienne est l'histoire d'une déception de ce qu'est la vie. J'allais par les routes en sifflotant, j'allais à la rencontre de ma destinée, sûr d'elle et sûr de moi. Après tout, je comprenais la plupart des petits mécanismes qui m'entouraient mieux que la plupart des autres et donc j'allais m'en tirer mieux que la plupart des autres, ça coulait de source.
J'ai évité la majorité des pièges à con, ça allait de soi. Le matériel, les apparences, la superficialité ne m'ont jamais hypnotisé. Alors, que s'est-il passé ? À quel moment ai-je tourné le coin fatidique ? Où était l'entrée de ce labyrinthe, dans lequel je me trouve enfermé désormais, qui me garde ici piégé, qui me coûte chaque jour plus cher de ce baluchon de vitalité qui s'amenuise inexorablement.
La suite ? Mendier, en effet. Ramper. Jusqu'au dernier souffle, traîner ce qui reste de cette forteresse lourde et dangereuse que Montréal-Nord et mon enfance m'ont fait bâtir. Traîner derrière moi dans la glaise ce qui reste de ces instruments de musique et d'amour, désormais tous cassés, fêlés, rompus, défraîchis, inutiles, méprisés, désuets, ridicules… touchants !… La suite ? Aux ongles, aux griffes, aux dents, s'accrocher, sans plaisir, sans bonheur, sans rires, sans partage, sans espoir, sans projet, sans avenir, sans même l'énergie nécessaire à imaginer mieux. La suite ?…
Le vieux guerrier est transpercé de toutes parts, blessé trois fois mortellement, mais il reste debout sur le champ de bataille, par réflexe, par conditionnement, par un étrange mélange d'humilité et d'orgueil… La Garde meurt, mais ne se rend… Il reste droit devant la déferlante sanguinaire, rouillé dans son armure, séché dans sa posture, son sang a durci et ses plaies sont devenues des cuirasses. La suite, ça devient pathétique. Y a plus qu'à tenir. Chercher les joies où il n'y a que cailloux boueux. Revoir l'horizon derrière l'acier de la cellule. Trouver demain parmi les ronces.
Pas bu un verre depuis mars.
Ah, dis-donc, je sais que j'ai dû le demander ailleurs, déjà, mais…
Sans alcool, comment ils font ?© Éric McComber

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