Vendredi, 7 août 1914 (Eulmont)
Ma bonne Cécile,
Nous sommes toujours à Eulmont, toujours en tenue de départ, revolver au coté. J’ai l’explication de ce fait ; le 37e était le plus avancé et nous laissons aux autres le temps de nous rattraper ou de nous dépasser. Notre position a été cause de l’empêchement de l’envahissement par Fauly Lay Saint-Christophe. C’est à cette fameuse nuit dont je t’ai parlé dans une précédente que nous supposons avoir déjoué ce tour.
Quoi qu’il en soit tout continue à bien marcher. Je devine ou plutôt mes pressentiments que les Prussiens n’ont pas envie de se battre se confirment Déjà les nôtres sont à Mulhouse, Colmar, …etc.…
Nos cavaliers sont surprenants, les autres sont lâches.
Ce léger aperçu suffira pour te faire saisir que rien ne survient pouvant modifier cet élan dont je t’ai parlé.
Cependant hier un réserviste s’est tué hier soir en se tirant deux coups de fusils dans la bouche. J’ai vu le corps, ce n’est pas beau un suicidé. C’est un peintre de décors, au théâtre, un nommé Champey. Il avait été détraqué par la mobilisation.
J’ai reçu hier, ma chérie, la basse-cour que tu m’as envoyée. Je te remercie, mais tu as exagéré. Songe donc que voitures, sacs et tout cela est complet. J’étais plutôt embarrassé avec ma ménagerie. Le colonel a trinqué à ta santé en buvant le porto. C’était du luxe. Il faut à présent ménager les produits. Léon a dû en faire une tête en voyant ce déménagement.
Si tu vois M. le Directeur dis-lui que j’ai été très sensible à la poignée de main qu’il m’a envoyée par l’automobiliste. Je vais me re-sangler, je crois que c’est aujourd’hui qu’à notre tour nous passerons la frontière.
Je t’embrasse ma chérie bien fort, bien fort, embrasse aussi Loulou et dis lui qu’il me fait plaisir en t’écoutant bien. Je lui rapporterai la décoration du 1er officier prussien que je tuerai, que je tuerai… comme on parle !!
Au revoir chérie, bon courage et bon espoir. Ne te chagrine pas, je n’aurai ainsi aucun souci.
Ton tout à toi.
Jules
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Devant Sivry (M et M) dans un jardin sur mes genoux, samedi 8 août 1914
Ma Cécile Chérie
Nous avons enfin quitté Eulmont ce matin. Notre régiment garde des hauteurs sur lesquelles on a construit depuis plusieurs années des travaux très importants.
Et certes c’est dommage (car ce serait chic de les attendre ici) que l’on nous envoie les attaquer chez eux. D’ici on les viserait comme on vise la cible en champ de tir.
Les nouvelles continuent à être bonnes, nos bons Belges font de l’excellente besogne. Qui nous aurait dit ma chérie lorsque nous examinions la citadelle de Namur que les canons qui y sont, serviraient sous peu.
Ici l’entrain ne se dément pas. Il y a près de l’entrée du village un jeu de quilles, les artilleurs y jouent.
Toute la matinée nos hommes ont chanté et cependant nous sommes à proximité du danger. On vient de nous lire l’Est, tous les détails nous intéressent vivement.
Le coup de donner la légion d’honneur à Liège est fameux.
Les Anglais débarquent dans le lecteur, tiens me dis-je, il doit en être de même à Maréville…mais…Ça n’a aucun rapport que celui sans doute de m’attirer une observation de qui je sais.
Nous entrons dans la véritable période, je veux dire la période des opérations militaires, il va falloir se serrer la ceinture plus d’une fois sans doute. A propos de ceinture, elle me fait rudement suer celle de flanelle.
Les volailles sont embêtantes à transbahuter, mais on est rudement content de les trouver. D’ici quelques jours, elles me coûteront plus cher, car celles que nous trouverons seront vivement réquisitionnées. Il reste 2 lapins et le coq tué, par nous pas par les prussiens. Je vais confier cette lettre à je ne sais pas qui, qu’elle arrive, mais que j’ai bientôt une réponse.
Mille baisers ma chérie et à Loulou. Amitiés à tous. Comment marche l’asile ?
Ton tout à toi.
Jules
C’est aujourd’hui que devrait avoir lieu la distribution des prix au ?
Je dis à M. Tramby près duquel je me trouve, que je t’écris, il me charge de ses souvenirs, Clément qui est gentil pour moi, m’en dit autant.
Je reçois à l’instant ta lettre du 7 avec celles de Robert : bravo mon gros, mais dis lui, pas de zèle inutile, il est du reste plus nécessaire en vie qu’en se risquant.
Ton adresse était bien, continue.
NDLR: Loulou et Robert sont les fils de Jules et Cécile. L'asile est le lieu de travail de Jules dans le civil, il était secrétaire du directeur de l'asile de Maréville (Meurthe et Moselle)