Magazine Journal intime

Jules à Cécile: 5 et 6 août 1914

Publié le 11 novembre 2012 par Christinedb

Eulmont, mercredi 5 août

Ma chère et bonne Cécile

Quelle singulière vie nous menons ici. Tout le monde sauf peut-être moi a l’impression d’un danger prochain et de fait cette absence de nouvelles aussi bien de l’intérieur que de l’ennemi est angoissante.
J’ai encore répété au colonel que je ne croirais à la guerre que quand j’entendrais siffler les balles et j’arrive à faire partager mon idée.
Quant aux hommes, ils sont toujours admirables malgré le temps qui parfois est déprimant.
Ma popote continue à bien marcher malgré la rareté des vivres ; il est vrai que nous avons la viande, le café, le riz ou pois secs.
Hier nous avons eu alerte, on est venu nous annoncer que les gens de Nomeny fuyaient devant les uhlans. Départ du régiment pendant la nuit, marche dans les bois en terrain accidenté puis pause pendant toute la nuit sans résultat, mais dans une attente fébrile, on croit voir de s ombres partout. Je charge mon revolver et je…. M’endors dans le fossé. Réveil plutôt glacé et retour à Eulmont à 5 heures.

Aujourd’hui attente dans le village mais toujours pas de nouvelles.
Je vais essayer de trouver un moyen pour te faire parvenir cette lettre, mais avant je voudrais encore te redire de continuer à être ferme, de ne pas songer à ce que cette période peut amener d’imprévu en un mot de conserver le courage dont tu n’as jamais cessé de faire preuve. Je sais bien que dans une certaine mesure j’aurais pu me dispenser du devoir qui m’incombe, mais aurais-je pu me dispenser de servir soit dans la territoriale soit sur les voies ferrées, mais là le péril est absolument le même et certes il me reste encore trop de vigueur et de force pour me confiner en un pareil moment dans un rôle de pompier.
Clément cette nuit, me voyant chargé comme une bourrique avec les paquets que tu m’as envoyés et dont j’avais comblé mon sac, s’extasiait avec un autre camarade sur la façon dont je grimpais les côtes de Faulx cette nuit. Et de fait, je me sens une verdeur, une ardeur d’aller en avant qui me réconforte un peu, si peu entraîné que je suis.
Puis de savoir que tu peux arriver à surmonter un peu tes tourments cela complète mon courage.
Je ne t’en aime que davantage ma chérie et le reste de ma vie ne servira qu’à te le prouver, je te le jure.
Je t’embrasse mille et mille fois.
Ton tout à toi.
Jules

Embrasse bien fort Loulou et dis lui de continuer à te donner satisfaction.

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Eulmont , jeudi 6 août

Ma bonne Cécile

J’ai reçu ton mot hier soir et je te remercie de l’émotion qu’il me cause. Cette émotion était d’autant plus vive qu’en ce moment nous ne recevons que des mauvaises nouvelles.
Je suis convaincu que nous n’aurons à nous battre que contre des lapins effarouchés. La cavalerie de Lunéville est à Vic, c’est officiel. A-t-elle dû être bien reçue !
On vient de nous dire que vers Conflans un baron prussien est anéanti par les mitrailleuses… L’esprit continue à être parfait. Les distributions sont faites régulièrement enfin tout va bien, même la santé de ton vieux, qui cependant a avalé hier une bouteille d’eau de vichy.
Je te recommande de conserver bien précieusement les journaux. Ici nous recevons chaque jour quelques n° de l’Est pour tout le régiment...
On vient de nous dire que nous avions peu d’ennemis devant nous. Ce doit être un piège, ou une frousse de la division de fer éprouvée par les prussiens.
Malgré la rareté des vivres, je continue à servir le colonel et aux autres un menu dont ils sont contents.
Les œufs et le beurre manquent, l’encre à mon stylo aussi.
Je cesse d’ailleurs, j’entends l’ ?? de la poste qui s’apprête.
Mille baisers ma chérie, ainsi qu’à Loulou. Amitiés à tous
Ton tout à toi

Jules

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