Jules (1866-1914): lettres à Cécile, 3 août 1914

Publié le 11 novembre 2012 par Christinedb

Eulmont (encore) 3 août 1914

Oh ma chère Cécile,

Combien ta lettre vient de me causer d’émotion. Tu me fais pleurer et on va le voir.
Reste à la maison avec Loulou pour le moment. Plus tard les dévouements se calmeront sans doute et on sera peut-être heureux de te suivre. Reste, je t’en prie.
Tu pourrais peut-être voir les dames de Saint-Max pour les prier de faire les démarches nécessaires pour avoir Robert. Je serais heureux de le savoir là près de toi.
Rien, au point de vue matériel ne me manque ; l’argent m’étouffe du reste on ne peut pas l’employer et cependant voici le menu que je leur ai servi ce matin.
Lapin tournedos
Petits pois
Biscuits
Fruits
Vin rationné, il n’y en a plus ici, mais l’eau est bonne, plus de bière non plus.
J’ai comme cuisinier le 1er de chez Vatel celui qui a fait le dîner du grand duc. Le beurre lui manque, mais je m’en f… J’ai aussi un ordonnance uniquement à ma personne, il fait partie de ma garde du drapeau et portera mon manger. C’est une vraie maman, un réserviste jardinier à Essey. Il se nomme Huguin.
As-tu reçu ma lettre de dimanche, c’est le professeur Simon qui s’est chargé de l’emporter à Nancy.
Ne crains pas les blessures. Je reste convaincu que l’on ne se battra pas et… Faut-il le dire, si c’est par une nouvelle humiliation que l’on évite cela, je le regretterai car si tu savais comme tout est organisé ! Ceux qui ont rénové tout cela ont bien mérité du Pays.
Je le dirai au principal de ces organisateurs quand je le verrai bientôt car sa première visite sera pour nous. Je soignerai le menu ce jour-là.
Mes yeux se sèchent, tu dois t’en apercevoir à mon style car je divague.
Sois bien courageuse ma chérie, moi je n’en manquerai pas.
Remercie Monsieur le directeur, je pensais bien qu’il était meilleur qu’il ne l’a paru jusqu’à présent.
Embrasse Loulou, dis lui que je suis content de ce que tu me racontes sur lui, qu’il t’aide bien. Garde ta bonne si elle t’est utile en quoi que ce soit.
Ma chérie, je t’embrasse de toute mon âme, de toutes mes forces, c’est dire comme je t’aime et t’ai toujours aimée.
Ton tout à toi

Jules

Je ne peux pas manger tout ce que tu m’as envoyé et suis embarrassé aussi pour loger la tarte, j’ai une tunique en trop.
(Sur l’enveloppe) :
Je rouvre ma lettre pour te dire que des ordres sévères viennent d’être donnés pour la rédaction des lettres. À l’avenir elles ne devront plus êtres cachetés ; on ne devra plus indiquer le lieu d’expédition et je me bornerai donc, quand je pourrai t’écrire, à t’indiquer mon état de santé ; il va sans dire que d’ici là je peux le faire plus longuement, je n’y manquerai pas. On va nous distribuer deux cartes-lettres par mois.
J’ai vu hier le jeune Poulet, il venait d’être relevé avec sa compagnie de service d’avant poste et n’avait pas pu se débarbouiller depuis 4 jours. Il a dû passer une bonne nuit. Si tu pouvais écrire à son père, il t’en serait reconnaissant.
Tu devineras que le moyen que j’emploie en envoyant cette lettre par Excelsior est heureux, puisque dès maintenant les lettres doivent être ouvertes.
Allons ma chérie au revoir encore, si tu tardes à recevoir un mot, tu en connaîtras la raison. Il est nécessaire de prendre toutes les mesures de sécurité et il y a lieu de s’incliner. Mille baisers. Souvenirs à tous.
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Eulmont, lundi 3 août

Ma chérie

Clément qui s’en va à Nancy veut bien se charger d’emporter la somme de 400 francs ci-jointe.
C’est une indemnité et 1/2 mois de solde qui m’est accordé
Je t’embrasse bien fort, bien fort

Jules

Tout va bien, mais pas de nouvelles, rien que des carcasses (?)
Clément ne part que dans quelques minutes, j’ajoute donc un mot :
Je suis logé ici chez une bonne vieille de 80 ans. Elle est en train de me coudre une poche à l’intérieur de ma capote pour y contenir mon porte feuille.
L’argent ci-joint te parviendra sans doute par la préfecture. Mets en 200 dans la caisse que tu sais aux Louis de 40F, garde le reste, 100F sont dus par moi pour les obsèques de maman, les autres sont ce que je t’ai dit avances que j’ai faites (30 à Potier pour timbres et télégrammes, à la société territoriales autant.. etc… Tu trouveras sur une petite feuille séparée arrachée d’un carnet de blanchisseuse, le détail de ce que j’ai avancé à cette société, une trentaine de francs aussi.
Si je pouvais recevoir un mot de toi m’accusant réception et me disant si tu as des nouvelles de Robert, je serais content.
Je t’embrasse fort, fort et Loulou

Jules

NB: Gustave (surnommé Loulou) et Robert sont les fils de Jules et Cécile

Liens: les précédentes lettres ; le livret militaire de Jules