Au Palais des beaux-arts de Lille, une centaine de peintures flamandes révèlent la place prééminente prise par les représentations de paysages au XVIe siècle.
Madrid, Musee Lazaro Galdiano
Jérôme Bosch (1485-1510) « Méditation de saint Jean Baptiste » (huile sur bois).
Madrid, Musee Lazaro Galdiano
Jérôme Bosch (1485-1510) « Méditation de saint Jean Baptiste » (huile sur bois).
Peuplés de saints minuscules, de symboles religieux ou profanes, ces vastes panoramas invitent à la méditation spirituelle.
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FABLES DU PAYSAGE FLAMAND
Au Musée des beaux-arts de Lille
Il faut un œil aiguisé pour décrypter ce tableau de Joachim Patinir. Sa Marie Madeleine en extase, emportée par une nuée d’anges au-dessus de la Sainte-Baume, ressemble à une minuscule phalène perdue dans l’immense paysage… Sur ce petit panneau de bois, le peintre a enfermé tout le vaste monde. Dans les lointains bleutés s’ouvre un large estuaire bordé de villes fortifiées et de montagnes, tandis qu’au premier plan un sentier traverse des prairies verdoyantes.
Des pèlerins y cheminent vers la Sainte-Baume, grimpent par des escaliers à l’ermitage de la sainte, lui-même niché contre une falaise abrupte montant jusqu’aux nuages. Une image de la voie escarpée que le chrétien doit suivre pour gagner son salut ? Pour le conservateur Alain Tapié, nul doute que ce tableau représente « un chemin de vie ».
Joachim Patinir est l’inventeur, dans les Flandres du XVIe siècle, de ces peintures où le paysage prend soudain une place prépondérante, tout en portant une signification morale ou spirituelle. Une évolution encouragée par le mouvement de la Devotio moderna, mais aussi par les écrits d’Érasme, riches de métaphores et de toute une théologie de l’image.
Jérôme Bosch, Patinir, Bruegel, Herri Met de Bles
Alain Tapié a réuni plus d’une centaine de ces œuvres au Palais des beaux-arts de Lille, attribuées à Jérôme Bosch, à Patinir, aux fils de Pieter Bruegel l’Ancien, à Herri Met de Bles ou Paul Bril et à beaucoup de suiveurs qui ont copié ces maîtres pour satisfaire la demande d’une bourgeoisie en plein essor.
Le port d’Anvers est de plus en plus actif, tourné vers ces pays lointains, dont Jan Bruegel dépeint les fleurs et les animaux exotiques. La cartographie moderne s’invente à la même époque, avec le géographe Mercator. Bref, c’est tout l’horizon des Flandres qui s’élargit alors.
Dommage que l’accrochage de Lille, conçu sous la forme d’un labyrinthe, soit un peu étouffant. Les sections thématiques, qui séparent parfois des œuvres de même sujet, n’apparaissent pas non plus limpides. Pourtant, toutes ces peintures foisonnantes de détails – un hommage à la richesse de la Création – fascinent comme de véritables rébus.
Le profane et le sacré se mêlent
Chez l’aîné, Jérôme Bosch, puis son école, c’est une nature inquiétante qui domine. L’enfer est symbolisé par une terre désertique hantée de créatures hybrides, perversions de l’harmonie divine, sur fond de villes incendiées et en ruine. Les hommes nus, les fruits exagérément grossis, témoignent des passions déchaînées. Seule, dans ce capharnaüm, la figure de saint Antoine en prière suggère une possible paix…
Sous le pinceau de Patinir et plus encore chez Herri Met de Bles, des rochers anthropomorphes surgissent. Des visages géants et grotesques se dissimulent dans les montagnes, suggérant la présence invisible du Mal à l’œuvre en ce bas monde. Par exemple, dans ce Paysage nocturne avec saint Christophe qui vient de traverser une mer déchaînée et dans cette Montée au calvaire , où un Christ lilliputien perdu dans une foule hostile chute sous le poids de la croix.
Inciter les croyants au discernement spirituel
Ces images cachées dans les tableaux devaient inciter les croyants au discernement spirituel, contre les apparences illusoires. Herri Met de Bles avait d’ailleurs choisi comme emblème la chouette douée de vision nocturne, qu’il s’est amusé à dissimuler dans tous ses tableaux, pour le plus grand plaisir des spectateurs.
Avec Pieter Bruegel l’Ancien – dont Lille expose des copies par son fils Pieter le Jeune –, la peinture se fait parabole. Le profane et le sacré se mêlent dans un nouvel humanisme. Son village brabançon où des patineurs glissent sous le soleil d’hiver rayonne de tendresse ! Même si la glace fragile menace d’être un piège, comme celui sous lequel des oiseaux imprudents picorent…
L’on aurait pu imaginer ici une section dédiée à la Réforme. Les peintures de Babel livrées en effet, après Bruegel, par les peintres flamands à la fin du XVIe siècle, dissimulent une critique de la toute puissance de Rome avec son Colisée et l’interminable chantier de la basilique Saint-Pierre. En retour, les peintures du cercle de Paul Bril montrant Jonas et son navire pris dans une épouvantable tempête sonnent comme la riposte de l’Église aux attaques de Luther. Un visage colérique se dessine dans les plis de la voile qui semble affronter la baleine. Tandis que sur la rive, une tour phare incarne la lumière de la foi.
Cette exposition se tient dans le cadre de la saison Fantastic Lille 3000 jusqu’au 14 janvier 2013.
Rens. : 03.20.06.78.00 ou www.pba-lille.fr
On retiendra le catalogue édité par Somogy (364 p., 35 €) pour ses nombreuses contributions d’historiens d’art, davantage que pour les reproductions des œuvres, assez médiocres.
http://www.la-croix.com/Culture-Loisirs/Culture/Actualite...
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