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Samedi 14 novembre
Clara est passée en coup de vent ce matin, un cadeau à la main : la correspondance entre Virginia Woolf et Lytton Strachey qui vient de paraître en français. En me tendant le paquet, menton relevé et ton théâtral à la Louis Jouvet, elle a dit : Vous connaissez la chanson, mademoiselle Yaël Koppman ? Seul le travail procure des satisfactions profondes et durables. Et elle a marqué la liaison avec le et (zédurables), comme il est d’usage pour cette antienne familiale, héritage commun de nos grands-pères respectifs et néanmoins frères, Simon le communiste et Henri le religieux.
C’est donc en pensant à mes grands-parents Esther et Simon dont la vie fut beaucoup plus rude que la mienne, ce que je m’efforce de ne pas oublier, que je me replonge dans ce monde de Bloomsbury qui m’avait tant fascinée, que je renoue avec des goûts, des intérêts antérieurs à ma vie avec Yann et qu’il ne peut donc polluer par son absence. Découvrir Virginia, vingt-quatre ans, s’interrogeant sur la manière de décrire, avec sa palette de mots, la couleur de l’Atlantique (« Il est soulevé d’étranges frissons vert et écarlate, mais si on parle de rougeurs, on introduit des associations déplaisantes avec un visage qui s’empourpre ») avant de lancer à Lytton, tel un jeune chat qui joue, griffes sorties mais patte molle : « Je crains que tu n’aies guère le sentiment de la nature. » À dix-sept ans, ne s’essayait-elle pas déjà, dans son Journal d’adolescence, à décrire sans clichés un coucher de soleil lors d’une journée sombre et pluvieuse de septembre ?
Et moi qui à l’inverse n’ai jamais été foutue de décrire quoi que ce soit, ni océan ni coucher de soleil, me voilà collée à ma vie minuscule, incapable de lui donner ampleur et respiration.
Marianne Rubinstein, Les arbres ne montent pas jusqu’au ciel, Albin Michel, 2012, pp. 22-23.
MARIANNE RUBINSTEIN
Ph. © Sandrine Expilly
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■ Voir aussi ▼
→ (sur le site des éditions Albin Michel) la fiche de l’éditeur sur Les arbres ne montent pas jusqu’au ciel [PDF]
→ (sur terrafemina) un entretien avec Marianne Rubinstein
■ Virginia Woolf
sur Terres de femmes ▼
→ 25 janvier 1882 | Naissance de Virginia Woolf
→ 14 décembre 1922 | Première rencontre Virginia Woolf-Vita Sackville-West
→ 18 février 1927 | Lettre de Virginia Woolf à Vita Sackville-West
→ 5 mai 1927 | Virginia Woolf, La Promenade au phare
→ 11 septembre 1940 | Virginia Woolf, Journal d'un écrivain
→ 28 mars 1941 | Mort de Virginia Woolf
→ 21 septembre 1993 | Orlando de Virginia Woolf, au Théâtre de L’Odéon
→ Virginia Woolf, Flush (note de lecture)
→ Sombrer dans le bleu (note de lecture sur Le temps passe)
→ Virginia, lectures croisées
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