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Bal tragique à la Bastoche : épisode 8

Publié le 17 novembre 2012 par Mazet

Bal tragique à la Bastoche

Episode 8

Visite chez un drôle d’antiquaire

Retracer la soirée du crime chez Bousca s’avérait être une œuvre de longue haleine. En sortant du bureau de Boissard, Marin n’avait pas pu résister à l’appel du civet que préparait finement Jules, le patron d’un bistrot de la rue des Taillandiers. Sa table était réservée, toujours la même, à côté de la cuisine. Le hasard lui amena comme voisin un serveur de chez Bousca. Cela faisait bien deux ou trois ans qu’ils se saluaient en dégustant leur anisette. Cette fois, Marin engagea la conversation.

- Je pense que je vais aller vous rendre visite cet après-midi. A partir de quelle heure est-ce que je suis sûr de rencontrer l’ensemble du personnel ?

- A partir de seize heures, tout le monde est sur le pont. Nous nous attendions à avoir la visite de la police. J’espère que vous n’allez pas fermer le bal.

- Rassurez-vous, monsieur ?

- Gilles Ferron.

- Oui, rassurez-vous, monsieur Ferron. Ce n’est pas à l’ordre du jour.

- déjà que sans Baptiste, on n’est pas sûr de garder la clientèle.

- Il était aussi populaire que cela ?

- Vous n’imaginez pas, inspecteur. A la fin du bal, il était parfois obligé de sortir par la petite porte, celle qui donne sur le passage Thiérée.

- Il va avoir un successeur ?

- Vous pensez bien que le père Bouscatel ne va pas laisser le bal sans musique. Il a engagé Emile Vacher, il parait que c’est un jeune homme prometteur.

- Vous vous souvenez de la soirée qui a précédé le crime ?

- Difficile de l’oublier !

- Pourquoi, il s’est passé quelque chose de particulier avant qu’on ne tire sur Baptiste.

- Qu’entendez-vous par-là, inspecteur ?

- Une dispute, une bagarre ?

- Pas que je sache, mais mes collègues ont peut-être vu quelque chose. La salle est grande, on n’est pas au courant de tout ce qui s’y passe.

Marin se rendit compte, que même en renouvelant la tournée d’anisette, il ne tirerait pas un mot de plus sur la soirée. Le père Bouscatel avait dû faire la leçon. Nul doute qu’il sera là quand il interrogera le personnel. Les deux hommes achevèrent leur repas en silence. Ferron partit en saluant le policier de la tête. Marin espérait que son patron avait pu tirer un peu d’aide de la part de Bouscatel sinon la partie de l’après-midi s’annonçait serrée. Il avait deux heures à tuer avant de commencer ce qui serait sans doute un jeu de cache-cache. Il prit le partie de s’éloigner un peu du coin des Auverpins. Il marcha jusqu’à la rue du temple. Ce n’est pas par hasard qu’il s’arrêta devant un magasin d’antiquités qui ne respirait pas l’opulence. Il poussa la porte. Un petit homme portant une blouse grise maculée d’encre arriva de l’arrière-boutique.

- Bonjour Alfred, alors tu transformes les missives de ta grand-mère en lettres de madame de Sévigné ?

- Vous êtes mauvaise langue, inspecteur. Je ne vends que des documents authentifiés.

- C’est ce que disait Vrain-Lucas[1] ! Mais, je ne suis pas venu pour ça. Après tout, si tu trouves des gogos pour croire à tes faux, ce n’est pas mon problème. Tu connaissais Baptiste Charbonnier ?

Alfred pâlit légèrement.

- Jamais entendu parler avant qu’il ne reçoive une volée de pruneaux.

- Tu mens mal.

- Je vous jure.

- Si je vais faire un tour dans ton bric-à-brac, je suis sûr de trouver des couverts en argent, des chandeliers et quelques bijoux dont tu auras du mal à justifier la provenance.

Marin passa derrière le comptoir et prit Alfred par le bras.

- Allez viens, on faire un tour dans ta remise.

- C’est bon, inspecteur. Je le connaissais un peu.

- Comme tu n’es pas un habitué de chez Bousca, je suppose que tu étais en relation avec lui pour autre chose.

- Ca m’embête de vous raconter ça, inspecteur.

- Alfred, c’est une affaire de meurtre, pas d’un vol de quincaille.

- Vous savez qu’il y a des dames qui se seraient damnées pour l’attirer dans leurs draps.

- Oui, ça c’est du réchauffé !

- Ce que vous ignorez, c’est qu’il monnayait parfois ses charmes. Comme ces dames sont la plupart du temps à court de liquide, elles le payaient en objets d’art, argenterie, bijoux.

- Et toi, tu recyclais tout ça ?

Alfred hocha la tête.

- Ben, c’est du propre. C’est comme si tu étais son Julot, tu mangeais du pain de fesses, surtout que tu devais bien te servir au passage.

- Vous exagérez inspecteur, j’ai toujours été un fourgue honnête.

- Ben voyons ! Bien entendu, tu ne connais pas le nom de ces généreuses donatrices.

- Je suppose que ces dames étaient de la haute. Baptiste était un gentleman. Il n’a jamais lâché un nom.

- J’espère que tu ne me caches rien. Si quelque chose te revient en mémoire n’oublie pas de me prévenir.

Marin sortit de la boutique, mais dissimulé sous un porche, il pouvait garder un œil sur la porte. Il n’attendit pas plus de cinq minutes pour voir sortir Alfred qui prit la direction du Châtelet en regardant furtivement derrière lui. Avant d’aller chez Bousca, il fit un détour par le commissariat et raconta à son patron de l’étrange comportement d’Alfred.

- Je crois qu’il serait sage de mettre le magasin sous surveillance.

- Vous avez raison Marin, on s’en occupe de suite. Ce matin, Bouscatel m’a promis une parfaite collaboration.

- On verra, Patron. Mais j’ai l’impression qu’il a fait la leçon à son personnel. Ça risque de ne pas être simple.



[1] Célèbre faussaire du XIXème siècle, qui piégea, notamment, le mathématicien Chasles.


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