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Bal tragique à la Bastoche : Episode 9

Publié le 24 novembre 2012 par Mazet

Bal tragique à la Bastoche

Episode 9

Une soirée chez Bousca.

Marin n’était pas un habitué de chez Bousca. Il dansait comme une clef à molette nage la brasse. Quand il arriva au 13 rue de Lappe, on était encore loin de l’heure d’ouverture. Cependant Bouscatel faisait les cents pas devant l’entrée.

- Ah ! vous voilà, inspecteur. Monsieur Boissard m’a prévenu de votre arrivée. Tout le personnel est prêt à vous répondre.

- J’y compte bien. Merci de ne pas m’accompagner, monsieur Bouscatel.

La salle de bal était basse de plafond.  Tout autour, des petits bancs de bois étaient rangés le long des murs, pour accueillir les danseurs fatigués. Trois comptoirs permettaient de servir des boissons fraiches aux gosiers assoiffés. Dans un coin, une estrade attend les musiciens. Pour l’heure, trois garçons et deux serveuses attendent sagement l’inspecteur Marin.

- Comme vous l’a sans doute dit votre patron, nous allons essayer de retracer la soirée qui a précédé le crime. Essayez de bien faire travailler vos méninges, même le détail, à vos yeux le plus infime, peut être important. Comment a commencé la soirée ?

- Comme d’habitude, quand la nuit est tombée le patron est sorti dans la rue. Il a crié « Ohé Charlot, c’est l’heure, on va ouvrir ».

- C’est vous Charlot ?

- Oui, je me nomme Charles Dumonteil.

- Pourquoi ce cérémonial ?

- Il faudra lui demander. Je suppose que c’est pour indiquer aux clients des bistrots voisins que le bal commence.

- Baptiste Charbonnier était là ?

- Bien sûr, on ne commençait pas sans lui !

- Il était seul ?

- Non, il y avait un cabréttaïre avec lui, c’est la tradition de la maison.

- Son nom ?

- Martin Noellat, il sera là ce soir.

- Il s’entendait bien avec Baptiste ?

Ce fut une des filles qui répondit.

- Je crois qu’ils se fréquentaient pas beaucoup. Je les ai jamais vu boire un coup ensemble et pourtant c’est moi qui tient le comptoir le plus proche de l’estrade.

- Ca ne veut pas dire qu’ils ne s’aimaient pas. Ils se contentaient de leur relation professionnelle. Il n’y avait pas de jalousie entre eux ?

Son compagnon de midi demanda.

- Sur quel plan inspecteur ?

- Il y toujours des tiraillements entre les joueurs de cabrette et les accordéonistes.

Charles répondit.

- C’est du passé, inspecteur. Ils ont compris, depuis longtemps, qu’ils devaient faire cause commune.

- Il paraît que Baptiste était un fameux Don Juan. Noellat n’était pas jaloux.

Un sourire narquois s’afficha sur les visages. Une des filles sembla même réprimer un début de fou rire.

- Je peux connaître ce qui a l’air de vous amuser ?

- C’est que, Martin n’est pas très attiré par les femmes.

- Vous voulez dire qu’il joue les « mignons » ?

- C’est ça inspecteur.

Marin ne put, lui non plus, réprimer un sourire. Quelle équipe de musiciens ! Un gigolo et une tante !

- Bien, reprenons le déroulement de la soirée. Martin et Baptiste sont installés sur l’estrade. Vous ouvrez la porte. Qui entre ?

- Un groupe d’à peu près dix personnes.

- Qui ? Des habitués ?

- Pas tous, mais aucun des visages ne m’était inconnu, répliqua Charles qui semblait être le chef du groupe.

- C’était la même bande ?

- Inspecteur, vous devez savoir que notre clientèle vient de tous les milieux. Pour autant que je me souvienne, il y avait Justin et son équipe.

- Justin ?

- Ne faites pas l’innocent, inspecteur. Justin est bien connu dans le quartier.

Bien sûr, que Marin savait qui était Justin. Il était un de ces gonzes poilus qui régnait, sans partage, sur une bande de trois ou quatre compères dévoués à sa cause. Il arborait un superbe grain de beauté tatoué sous son œil gauche et une fine moustache grise, ainsi personne ne pouvait douter de sa qualité d’apaches. Personne ne savait de quoi il vivait, mais tout le monde s’en doutait. Il pilotait, d’une main de fer, un troupeau d’une dizaine de gagneuses qui battaient le pavé de la rue du Chemin-vert. La comptée de ces dames n’était pas sa seule source de revenu. La rumeur publique lui attribuait, parfois avec juste raison, la réalisation de quelques-uns de plus beaux casses des beaux quartiers. Mais monsieur Justin était insatiable. Il arrondissait ses fins de mois en assurant la « protection » de quelques commerces du quartier. Bref, monsieur Justin était un « notable » de la Bastoche.  S’il avait eu des conflits avec Baptiste, il les aurait réglés ailleurs que dans cette rue. Il était bien trop soucieux de la tranquillité du quartier qui permettait à ses affaires de prospérer.  Ainsi Justin n’était pas au premier rang des suspects. Néanmoins, Marin garda cette visite en tête.

- Comment s’est passée la suite de la soirée ?

Gilles Ferron intervint.

- Comprenez, inspecteur, qu’on ne peut pas se souvenir de l’ordre d’arrivée de tous les clients, sans compter qu’on n’est pas sûr de ne pas confondre les jours.

- Je comprends. Néanmoins, y-avait-il des clients totalement inconnus ?

Une des deux filles intervint.

- Ca oui, j’en suis sûre. Deux marlous ont voulu faire danser des filles sans jeton.

Marin la regarda d’un air interrogateur.

- C’est vrai que vous n’êtes jamais venu inspecteur. Les clients, qui veulent danser, achètent des jetons. Quand la danse commence, monsieur Bouscatel traverse la piste en criant « vos jetons » et chaque danseur doit en jeter un dans son sac.

- Et les deux marlous en étaient dépourvus.

- Oui, et en plus comme leur visage me disait rien, je pense qu’ils étaient jamais venus.

- Vous pouvez me les décrire ?

- C’est pas facile, parce que j’ai pas fait attention, je pouvais pas imaginer que ce serait important.

- Ils étaient grands ? Petits ?

- Pour sûr, on avait affaire à deux costauds. Ceux, qui voulaient leur chercher noise, devaient y regarder à deux fois. J’ai vu qu’ils avaient pas des mains de fainéants.

- Et de visage ?

- Plutôt rougeaud, avec une grosse moustache.

- Tous les deux ?

- Oui, je dirais que c’était pas des gars d’ici, plutôt de la campagne avec un accent rocailleux.

- Un accent d’où ?

La fille rougit un peu.

- Ben, je dirais qu’ils parlaient un peu comme monsieur Bouscatel.

- Bien sûr, vous ne les avez pas revus ?

- Non.

L’inévitable Charlot intervint.

- Vous savez, inspecteur, dans le quartier on rencontre souvent des gens du Cantal ou de l’Aveyron qui viennent travailler quelques jours et repartent après.

Marin ignora la remarque

- Ils n’avaient pas l’air de vagabonds ?

- Ah non, inspecteur ! Ils avaient pas de cravate, ni de gilet mais leurs chemises étaient pas déchirées.

- Et les filles avec lesquelles ils ont dansé, vous les connaissez ?

- Ca oui, on les voit au moins deux fois par semaine.

- Seules ?

- Non, avec leurs hommes, mais ce soir-là, ils étaient trop saouls pour tourner une valse.

- Vous avez leurs adresses ?

- Ca non, inspecteur, on ne demande pas aux clients où ils crèchent. Vous ne bataillerez pas à les trouver. Josette et Monique grattent chez un tailleur de la rue de Rivoli.

- Les deux hommes sont restés longtemps.

- Deux ou trois heures, ils ont mis du temps à se décider pour inviter les danseuses. Je crois qu’ils se sont lancés après avoir vu deux ou trois javas. A mon avis, les mains sur les fesses, ça a dû les tenter. Je pense qu’ils n’avaient jamais essayé avant. Pour une première, c’était pas mal !

- Il n’y a pas eu d’incident ? Ils n’ont pas essayé de flirter avec les dames ?

- Non et je crois qu’ils ont eu tort. Vu l’état des maris, ils ont peut-être raté une occasion.

- D’autres clients inconnus ?

- Difficile de vous répondre, inspecteur. Il y a tellement d’allées et venues.

- Comment s’est passé la fin de la soirée ?

- Comme d’habitude.

- C’est-à-dire que vers deux ou trois heures du matin, les pouliches de monsieur Justin sont venues satisfaire les envies des bourgeois en goguette.

- Monsieur Marin, vous savez bien que c’est dans les bals que se nouent la plupart des idylles amoureuses.

- Arrêtez de vous foutre de moi monsieur Charlot. Je n’ignore pas, que dans tous les bals de la rue, des bandes de petits truands essayent d’arnaquer des caves venus des beaux quartiers. Avec sa gueule d’ange, Baptiste était un vrai piège à bourgeoises, ce dont Justin a sûrement profité pour monter ses petites arnaques. Il n’y a pas eu de vol, pas de dispute ce soir-là.

- Non, inspecteur, je vous jure.

- Ne prêtez pas serment n’importe comment, monsieur Charlot. Il pourrait vous en couter.

Marin sentit qu’il n’apprendrait plus rien d’intéressant pour l’instant.  Il quitta la salle de bal non sans ajouter.

- Prévenez votre patron, que si je découvre le moindre lien entre Justin et Baptiste, il peut dire adieu à son bal et vous, à votre turbin.


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