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Ceux qui compatissent

Publié le 29 novembre 2012 par Jlk

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Celui qui a mal à la douleur de ceux qu'il aime / Celle que ses larmes purifient / Ceux qu'un invisible lien relie / Celui qui n'aime pas qu'on décrie la pitié / Celle qui ne demande qu'un peu d'attention s'il vous plaît / Ceux qui endossent la peine perdue des enfants trouvés / Celui qui compatit à son corps défendant / Celle qui s'apitoie par convenance / Ceux qui donnent la pièce pour en finir / Celui qui s'interroge sur la nature originelle du mal / Celle qui spécule sur la générosité / Ceux qui se dérobent au regard du pauvre / Celui que son amour fait passer pour un simple. / Celle qui a fait litière de sa dignité et que plus rien n'humilie par conséquent ou peu s'en faut / Ceux qu'on offense en les oubliant / Celui qu'une espèce d'aura a toujours protégé à moins que ce soit la protection qui lui fasse cette aura ? / Celle qui n'inspire aucune mansuétude aux ignobles / Ceux dont la malpropreté signale la négligence spirituelle aggravée d'avarice en matière de produits de nettoyage / Celui qui n'ose pas avouer l'acte le plus ignoble qu'il a commis au motif que les abjects vont s'en réjouir / Ceux dont l'âme basse plastronne en haut lieu / Celui qui ricane à faire pleurer l'innocence / Celle qui ne peut souffrir plus souffrant qu'elle / Ceux qui prennent le malheur d'autrui pour une sorte d'affront personnel / Celui qui évite les sépulcres blanchis / Celle qui préfère le scélérat repenti au vertueux qui s'affiche / Ceux qui sont ridicules tant ils sont eux-mêmes / Celui qui rit de lui-même à en devenir suspect / Celle qui inspire de la commisération sauf à l'homme vil qui se délecte de sa faiblesse / Ceux qui sondent les bas-fonds de la bonne conscience / Celui qui recopie ces mots anciens toujours actuels du Roi Lear: "Ô pauvres gens, pauvres de tout, nus dans vos guenilles, où que vous soyez pauvres gens, vous que lapide cet orage impitoyable, ô têtes sans abri, corps affamés, je vous plains en mon coeur, j'ai mal de vos souffrances. Comment parvenez-vous à vous défendre, ô malheureux, contres les éléments par une nuit pareille. Jusqu'à aujourd'hui je me suis trop peu soucié de vous, ô frères humains !" / Celle qui de dessous ses hardes maugrée dans l'antique Odyssée: "C'est si dur, est-il rien de pire pour des mortels que de mendier ? Et ce ventre maudit qui nous harcèle, c'est lui qui vaut aux gens les maux et les chagrins de cette vie errante" / Celui qui estime que seul un lecteur familier à l'idée de suicide peut pénétrer vraiment l'inextricable tourment des romans de Fiodor Mihaïlovitch Dostoïevski / Celle qui a toujours évité les embrouilles du monstrueux Dosto pour leur préférer la douceur noire des récits d'Anton Pavlovitch Tchékhov / Ceux qui sont allés se recueillir sur la tombe d'Anton Pavlovitch avec Michel Simon qui savait par coeur des scènes entières de La Cerisaie, etc.

(Cette liste a été établie en marge de la (re)lecture des Frères Karamazov et du chapitre consacré par John Cowper Powys à Dostoïevski dans Les Plaisirs de la littérature, recueil génial paru en 1995 à L'Age d'Homme)


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