Magazine Nouvelles

Bal Tragique à la Bastoche : épisode 10

Publié le 01 décembre 2012 par Mazet

Bal tragique à la Bastoche

Episode 10

. Laplume entre le prétoire et le commissariat

Emile faillit rater le début de la deuxième journée du procès d’Henriette. La soirée avec Louis Bonnet avait laissé des traces. Un mal de tête tenace ne le lâchait pas et ce n’était pas le bol de café noir, accompagné d’une pipe bourrée de tabac gris qui allait l’atténuer. La suite du procès s’annonçait passionnante, puisque Joseph Caillaux était attendu à la barre. La grande explication allait commencer. Il arrive sanglé dans sa redingote. Très pâle, mais sûr de lui, il va expliquer pourquoi, il était certain que Calmette s’apprêtait à publier les fameuses lettres.

- Barthou m’a prévenu dès le mois de janvier. Il m’a dit « Ton ancienne femme est très remontée contre toi ! Tu as eu tort d’écrire ces lettres ».

Brusquement, ce n’est plus l’homme politique à sang froid qui s’exprime, quand il évoque son bonheur conjugal éteint, le chagrin d’Henriette, leurs nuits blanches et sa responsabilité dans le drame du seize mars.

- Je n’ai pas été assez attentif à la détresse d’Henriette. La parole violente que j’ai prononcée, a déterminé son geste. Je m’en accuse.

Cependant, Joseph Caillaux ne cède pas longtemps à l’abattement. La bête politique reprend rapidement une vigueur qui laisse la salle muette.

- Depuis dix ans, je subis des campagnes de presse immondes. Qui veut-on atteindre? L’homme qui voulait établir l’impôt sur le revenu? Celui qui a réussi à arrimer le grand empire marocain à la France tout en maintenant la paix avec l’Allemagne. On me reproche ma fortune ! Elle est inférieure à celle que m’ont laissée mes parents. Elle atteint péniblement un million de francs, bien loin de celle que transmet aujourd’hui monsieur Calmette : vingt millions... Alors ?

La salle est hypnotisée, stupéfaite. Quelques murmures de protestation s’élèvent, mais la déposition de Caillaux a marqué les esprits. Le témoin suivant s’avance. Il s’agit de Latzarus du Figaro, proche collaborateur de la victime. Aussitôt, il proclame.

- Nous aimions tous Calmette, il était bon.

Avec des sanglots dans la voix, il évoque les derniers instants de lucidité de Calmette, le chagrin immense qui a envahi le journal lorsque son souffle s’est arrêté. Il va quitter la barre, puis se ravise et parle de nouveau.

- Je pense que tout français, qui aurait lu les documents trouvés dans le portefeuille du mourant, conclurait comme moi. L’homme, mis en cause par ces documents, a trahi. Calmette m’a dit que les divulguer mettrait la patrie en danger. On l’accuse aujourd’hui de s’être livré à de basses manœuvres pour abattre Caillaux! He bien ! Je l’affirme ici : il pouvait le confondre, il s’est abstenu.

Il s’apprête à quitter la barre lorsque Caillaux et maitre Labori se lèvent d’un bond.

- Ah, non ! Permettez ! Je ne tolérerai aucune équivoque, que le témoin reste à la barre. Il en dit trop ou pas assez. Monsieur, je vous somme de vous expliquer.

- Je répète que je n’ai rien à ajouter.

Joseph Caillaux rebondit.

- Quand on attaque, il faut aller jusqu’au bout. Je vous mets au défi de produire des documents authentiques qui portent atteinte à mon patriotisme et ma loyauté envers la France.

Blême, en plein désarroi, Latzarus est retourné s’asseoir. C’est maitre Chenu qui vient à son secours.

- Nous ne pouvons pas parler de ces documents, pour la bonne raison que nous n’en avons pas eu connaissance. Après la mort de monsieur Calmette, ils ont été remis à monsieur Poincaré, Président de la République. Il les a aussitôt transmis au ministre des Affaires étrangères.

- Comment ? S’écrie maitre Labori ! Je demande la saisie de ces documents. J’exige qu’ils soient versés au dossier. Je ne plaiderai pas dans ces conditions. Il y a quelques années des pratiques similaires ont conduit à un des plus grandes erreurs judiciaires de l’histoire . Je refuse d’être solidaire d’une aussi basse besogne.

Le piège s’est refermé sur les ennemis de Caillaux. L’audience est levée dans un chaos indescriptible. On entend des « Hou-ou-ou ! Hou-ou-ou ! », des « A mort ». Encore une fois, la haine resurgit.  Dans la cour du palais, Joseph attendait Laplume avec impatience.

- Alors msieur Laplume, vous croyez que Calmette  pouvait prouver la trahison de Caillaux ?

- A mon avis, soit les documents transmis à Poincaré ne contiennent aucune preuve, soit sont des faux. A supposer, que par intérêt personnel, Caillaux ait été conduit à trouver un compromis avec les Allemands, il n’est pas assez maladroit pour avoir laissé des traces.

- Alors pourquoi madame Caillaux a-t-elle tué Calmette ?

- Qui t’as dit qu’elle voulait le tuer ? Je suis persuadé que d’autres documents sont dans la nature. Elle les pensait en possession de Calmette  et désirait seulement le dissuader de les publier.

- On en saura plus après l’audition de madame Gueydan.

- Je n’en suis pas sûr, Joseph. En attendant, il est temps de s’occuper de notre deuxième affaire. Je t’emmène faire un tour à la Bastoche.


Retour à La Une de Logo Paperblog

Dossiers Paperblog

Magazines