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SOLITUDE DE LA PITIE de Jean GIONO (extrait)

Publié le 02 décembre 2012 par Elisabeth Leroy

Joselet s'est assis en face du soleil.

L'autre est en train de descendre en plein feu. Il a allumé tous les nuages ; il fait saigner le ciel sur le bois. Il vendange tout ce maquis d'arbres, il le piétine, il en fait sortir un jus doré et tout chaud qui coule dans les chemins. Quand un oiseau passe dans le ciel il laisse un long trait noir tout enlacé comme les tortillons de la vigne. On entend sonner les cloches dans les clochers des villages, là-bas derrière les collines. On entend rentrer les troupeaux et ceux qui olivaient les dernières olivettes des hautes-terres s'appellent de verger en verger avec des voix qui font comme quand on tape sur des verres.

- Oh ! Joselet, je lui dis.

- Oh ! Monsieur, il me répond sans détourner la tête.

- Alors tu regardes le soleil ?

- Alors oui, vous voyez.

Le soleil est maintenant en train de se battre avec un gros nuage tout en ventre. Il le déchire à grands coups de couteau. Joselet a du soleil plein la barbe comme du jus de pêche. Ca lui barbouille tout l'alentour de la bouche. Il en a plein les yeux et plein les joues. On a envie de lui dire : "Essuie-toi."

- Alors, tu le manges ce soleil ? je lui dis encore.

-Eh oui, je le mange, dit Joselet.

Vraiment il s'essuie la bouche du revers de la main et il avale sa salive comme s'il l'avait parfumée d'un gros fruit du ciel.

Et quand il n'est plus resté que ce jour vert de devant le soir et, là-bas dans les pins de la colline, une petite goutte de lumière toute tremblante comme un pigeon, Joselet m'a expliqué.

-Ca, il m'a dit, c'est ce que j'ai su avant tout le reste. Vous avez entendu dire que je suis le maître de la pluie et que j'endors les brûlures rien qu'avec la salive ? Vous avez entendu dire que, quand on a le cordon de Saint-Antoine et qu'on a tout fait, et qu'on est fatigué de tout, on vient me voir, que je touche juste un peu l'homme ou la femme à l'endroit de la ceinture et que le mal s'en va ? Je m'essuie à un torchon, on brûle le torchon et c'est fini. On a dû vous dire aussi qu'avec le mot, si on a un membre déboîté, je le remboîte. Si vous avez de l'amour, à vous tourner, à vous retourner comme sur le gril, alors vous venez me voir, nous nous entendons, je vous fais la grande lecture des étoiles, je vous mets un peu la main derrière la tête, et la femme, la voilà dessous vous, tout de suite, dans le moment, même si elle est au fond des êtres. Bien entendu, je vous fais ça une fois, pour vous contenter, puis après c'est vous qui avez la parole. Je vous donne le nécessaire, c'est mon secret, et si vous faites bien ce que je vous dis, elle ne peut pas résister, elle vient et vous vous arrangez avec elle...

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