Les lecteurs attentifs du Soir la connaissent. Colette Braeckman couvre depuis des années l’actualité centre-africaine et enrichit les colonnes du quotidien de ses reportages tout terrain. Le Congo, elle connaît bien. Depuis trente ans qu’elle patauge dans le bourbier, elle a eu le temps d’observer le pays et de l’aimer. Lors de ses multiples périples, elle rencontre le Docteur Mukwege et s’intéresse à ce guérisseur acharné. Elle le convainc, avec l’aide de Louis Michel, de lui accorder un long entretien. De ce témoignage fleuve, la journaliste accouche d’un bouquin : L’Homme qui répare les femmes, ou le combat du Docteur Mukwege contre les violences faites aux femmes au Congo.
Ainsi, à travers l’homme, le pays. A travers une vocation infaillible qui côtoie au quotidien la barbarie indécente, une histoire politique consternante, souillée par des rois de pacotille qui n’hésitent pas une seconde à enrôler des enfants et des guerriers violeurs pour asseoir leur autorité.
Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi Mukwege se retrouve-t-il, par une sombre journée de mai 2012, devant le vagin explosé d’une fillette de trois ans, démolie par le passage successif de rebelles rwandais sur son corps innocent ? Pourquoi les casques bleus, pourtant postés dans la région du massacre, n’ont-ils pas réagi à temps ? Que dire encore ? Que faire ?
Tout le travail qu’il reste à faire en aval ne doit pas masquer la nécessaire prise en charge du problème en amont. Et Mukwege de fustiger l’intégration des rebelles dans l’armée congolaise, l’observation onéreuse et inefficace de la mission de l’ONU, ou encore l’impunité du Rwanda qui exporta son génocide sur les terres congolaises. Le médecin n’a de cesse de plaider pour une intervention plus humanisante auprès de la Communauté internationale, pour une reconversion agricole des militaires désœuvrés, donc pilleurs, pour un encadrement psychologique des enfants-soldats, pour une prise en charge des guerriers sauvages, tour à tour employés par les autorités congolaises et rwandaises, mais dont plus personne ne veut maintenant.
Alors, forcément, son discours dérange. En témoigne la énième tentative d’assassinat dont il a réchappé il y a à peine un mois. En témoigne le vol de son ordinateur alors qu’il s’apprêtait à confronter le monde aux atrocités commises dans son pays, images à l’appui. Mais Mukwege ne lâche pas. Il continue à « témoigner pour éviter de hurler », comme l’écrit Braeckman. Braeckman, justement, par qui ce témoignage essentiel rayonne. Braeckman, qui contextualise rigoureusement le récit de « Papa Mukwege », le héros de ces dames, le héraut de ces drames.
Grâce à la plume de la journaliste et à l’engagement de la maison d’édition André Versaille et du Grip, la voix de Mukwege nous parvient, enragée, touchée, touchante et nécessaire. Il fallait un homme extraordinaire pour conter l’histoire d’un pays qui ne le serait pas moins sans ces sordides cicatrices du passé. Il méritait bien un livre, ce livre.
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