Mais c’est super, mais c’est génial (la crise)

Publié le 04 décembre 2012 par Cochondingue

C’est comme si la terre avait été ravagée et qu’il ne restait plus qu’un seul client. Un seul client au monde dans ce gigantesque no man’s land qu’est cette période de crise. Et comme c’est mon unique client, je le bichonne. Il n’a rien de spécial, il n’est pas si sympa ou particulièrement spirituel, mais c’est lui qui paye et rien que pour cela, je le trouve parfait.
Mon client me donne souvent des choses absurdes à faire, mais je ne critique jamais. Je lui dis "Mais c’est super, mais c’est génial. J’adore le boulot que je fais !"
Quand il me demande si je ne suis pas un peu lasse de travailler pour lui, je lui réponds : "C’est formidable, c’est merveilleux, c’est une expérience professionnelle unique !"
Des fois il voudrait que je corrige des pétouilles sur une maquette Photoshop. Je lui demande le psd, le fichier de base, mais il ne sait pas ce que c’est. Il m’envoie une copie d’écran de son site internet. "Il suffit de corriger ça, c’est facile".
Alors, vois-tu, cher client, c’est comme si tu avais préparé un gâteau et que, le sortant du four, tu le trouvais trop plat. Tu me dirais alors : "Mince, j’ai oublié la levure, est-ce que tu peux en rajouter ? Il suffit d’ouvrir un sachet, ça ne devrait pas te prendre trop de temps."
Et je te répondrais : mais ton gâteau est déjà cuit et archi-cuit ! C’est pareil pour ta copie d’écran, il n’y a plus aucun calque, comment veux-tu que je rajoute de la levure sur une maquette aplatie !
Mais à la place, je lui dis : "Mais c’est super, mais c’est génial ! Je n’ai plus qu’à refaire toute la maquette, c’est tellement plus amusant quand ça met plus longtemps !"
Puis un jour il a disparu. C’est ainsi, ça arrive parfois. Tous mes autres clients s’étaient déjà évanouis, aspirés par le trou noir des restrictions budgétaires.
Alors maintenant je reste seule. J’ai cherché d’autres missions, j’ai relancé les agences de pub, j’ai écrit, mais mes mails sont restés sans réponse. J’ai pensé à me recycler, mais je dois me rendre à l’évidence : je ne sais rien faire, ni bêcher, ni coudre, ni vendre des combinaisons de survie. Je suis vraiment nulle pour une fin du monde.
La dernière fois, j’ai vu une copine freelance aussi désespérée que moi. Elle m’a proposé un truc vraiment bizarre, mais qui pourrait nous rapporter de l’argent. "Mais c’est super, mais c’est génial !", je lui ai dit. Moi j’aime l’argent.
- Tu vas trouver ça malsain.
- S’il s’agit de retoucher des photos porno, je suis partante tant que ça rapporte des sous.
- Non en fait, il y a un site qui te permet de vendre ta petite culotte pour 60€.
- 60€ une culotte ? Mais c’est super, mais c’est génial !
- Oui, ce sont des fétichistes qui achètent. Evidemment il faut que tu l’aies portée.
- Ah.
- Tu prends un pseudo, genre Natacha la cochonne ou Manon la pucelle. Et voilà, ni vu ni connu, tu vends tes dessous.
- Mais c’est super, mais c’est super… glauque. Et puis on risque de me retrouver. Déjà quand on tape mon vrai nom sur Google, on tombe sur mon site pro, puis juste derrière sur mon blog,  alors que mon blog est censé être totalement anonyme. Si jamais par je ne sais quelle magie d’internet, Google parvient à retrouver que je vends mes culottes sales à des pervers, sympa la pub ! Non seulement je n’aurai plus jamais de contrats, mais en plus je serai responsable de plusieurs syncopes chez mes proches.
Et puis j’imagine bien les échanges avec mes nouveaux clients :
- Cochon la grosse cochonne, j’ai bien reçu votre culotte. Mais je vous avais demandé à ce qu’elle soit rose fushia.
- Oui, j’ai bien lu votre brief, mais le rose n’est pas très élégant, il fait un peu vulgaire, j’ai préféré opter pour du noir.
- Passons… Je ne sens aucune odeur corporelle dessus !
- Ah mais bien sûr. Je garantis un service irréprochable. Lessive à 50° et adoucissant pour ce léger parfum de lavande.
- Et pour les traces de… que j’avais demandées
- Oui, vous avez vu comme les taches rendent bien. Je pensais utiliser de l’aquarelle, mais la peinture acrylique tient mieux. C’est tout un art. Cette culotte vaut très cher, vous savez.
- Oui, ça, je ne le sais que trop…
Mouais, en fait cette idée de vendre nos culottes, c’est un peu trop tôt, je ne suis pas assez désespérée, ai-je dit à ma copine. On est juste à la fin du monde. Si on attendait plutôt l’Apocalypse pour s’y mettre !