Le complexe de l’ornithorynque ou que faire quand on se sent à l’écart ?

En rentrant de l’école, mon fils a commencé à s’énerver contre ses sœurs. Rien d’inhabituel me diras-tu, sauf que là c’était tout aussi violent qu’injustifié, j’ai commencé à me dire, tout en poussant une gueulante évidemment, que la fin de journée s’annonçait rude. Je ne m’étais pas trompée sur ce point. Mais je n’imaginais pas la tournure qu’allaient prendre les évènements. Parce qu’à ce moment-là, mon loupiot s’est mis à pleurer à gros sanglots en me criant que les autres s’étaient moqués de lui à l’école à cause de ses nouvelles lunettes.

Ah oui, parce que mardi, l’instituteur (ou professeur des écoles) m’a expliqué qu’une gamine l’a poussé, il est tombé et ça donne un verre rayé à changer (déclaration d’accident, etc). Donc, on a sorti la paire de secours à 1 euro. Monture plus épaisse et moins discrète, mais ça lui va bien.

« Les autres, ils m’ont dit qu’elles sont nulles mes lunettes ! Et ils m’ont traité ! ». Traité de quoi ? L’histoire ne le dit pas. Je lui ai dit que moi je les aimais bien, ses lunettes. Et quand je lui ai demandé ce qu’il en pensait, il m’a dit qu’elles n’étaient pas nulles mais c’est pas juste de devoir porter des lunettes.

Mais comme je comprends sa colère, sa rage…

Moi, la fille qui était toujours la dernière à être choisie quand on faisait les équipes en sport, mais qui a couru un marathon je te rappelle.

Moi, la fille qui préférait lire, écrire ou dessiner qu’aller jouer au hand ou au volley, et qui fait le même genre de choix aujourd’hui.

Moi, la fille qu’on trouvait un peu bizarre, mais qui a plusieurs fois entendu « J’ai jamais rencontré quelqu’un comme toi ».

Moi, la fille qui ne sait pas ce que c’est « être populaire », mais qui a toujours eu des personnes sur qui compter.

Comment lui expliquer ça, alors qu’il n’a que 6 ans ? Quand en début d’année l’instituteur (ou professeur des écoles, encore lui) me demande si j’ai remarqué qu’il n’est pas très coordonné quand il court, et qu’il court pas vite, et qu’il écrit mal… Même si depuis, il ne tarit pas d'éloges sur ses prouesses. J’en ai parlé à notre médecin de famille, qui m’a expliqué que son fils était pareil, on en a pas mal discuté et je suis rassurée. Mais comment le rassurer, lui, mon petit bonhomme ? Je lui dis que je l'aime très fort, que je le trouve très beau avec ses lunettes... mais je ne suis que sa mère.

Lui dire que ça passera ? Que moi aussi j’ai connu ça, que je sais ce que c’est d’interpréter chaque détail comme un signe évident de mise à l’écart ? Lui raconter qu’à mon époque, à l’école, les images que l’on nous donnait comme bons points c’étaient des cartes de Merveilles du Monde (oh allez, tu te souviens le chocolat avec les gros carrés sur lesquels étaient représentés des animaux et dans chaque tablette on trouvait une grande carte rigide avec un animal ?) et quand les autres avaient la carte du cheval, du lion ou de l’aigle royal, moi j’ai eu droit à l’ornithorynque. Ouais, la bestiole qui ressemble vaguement à un castor avec un énorme bec de canard.

30 ans après, je m’en rappelle encore. Et je trouve toujours ça injuste.