Où l'on était parti pour parler d'un livre où le clavier nous aura échappé...
On envoie mais on n’y croit pas vraiment, c’est un peu comme un rituel, allez hop, ça c’est fait, on connaît les chiffres, un sur mille, qu’ils disent, et puis parfois, le un sur mille, c’est vous.
Parce que c’est bien vrai, que Gallimard publie des inconnus.
Le problème, c’est qu’ils sont souvent condamnés à le rester.
Mais n’incantons pas, et regardons la réalité en face. Mieux : imaginons.
Admettons donc que ce soit vous, l’inconnu. Septembre, Gallimard et sa couverture chair, un bandeau peut-être (avec votre nom seulement, on se demande un peu pourquoi mais on vous dira que c’est la tradition, vous verrez, l’édition est pleine de traditions), la fierté, le tirage, la 4e de couverture (toujours un peu ratée chez Gallimard – une tradition aussi, sans doute), le service de presse…
Ah oui, tiens, le service de presse. Si c’est votre premier roman vous serez sans doute impressionné: 300 exemplaires à envoyer partout, c'est un peu comme un tapis rouge. Un bureau, des piles de livres et café à volonté, le sourire de votre attachée de presse.
Mais tout à votre excitation et à votre recherche désespérée d’originalité pour une dédicace à M. FigaroLittéraire qui vous revendra fissa à un libraire d’occasion, vous ne vous rendrez pas compte que dans le bureau d’à côté, une autre attachée de presse ne se contente pas d’envoyer des livres ; elle est en train d’appeler tout Paris au téléphone pour prévenir que, cette année, ce qui va marcher, c’est Truc et c’est Bidule. Et de fait, quand un mois plus tard paraissent les premiers articles "bientôt la rentrée" dans les gazettes officielles (une autre tradition), vous lirez : … et pour la rentrée, on annonce déjà un excellent Truc chez Gallimard – à suivre !
Sauf que Truc, ce n’est pas vous. Vous ne le savez pas encore, votre livre n’est pas encore sorti et tout ou presque est déjà joué.
Car enfin, regardons. A chaque rentrée littéraire, Gallimard publie une douzaine de romans. Dans le lot, il y aura forcément quelques poids lourds : les incontournables (en vrac : Jauffret, Modiano, Djian, Jourde, Garcin…), les Zeller et les candidats officiels aux prixlittéraires (NDiaye, Audeguy, Sorman, Martinez…). Rien que d’y penser, vous comprenez que dans les librairies vos voisins de table risquent de vous faire un peu d’ombre. Quant aux critiques, n’en parlons pas : entre les amitiés, les affinités littéraires et le battage de l’attachée de presse du bureau d’à côté, les journaux ont déjà leur quota de Gallimard, et il leur faut aussi (reconnaissons-leur ce mérite) parler des petites maisons. Bref : peu de chances qu’on parle de vous.
Je ne juge pas, hein. C’est le jeu.
Mais ça n’est pas tombé sur vous. Dommage. Vous comprendrez bien assez vite que Gallimard a placé ses ressources ailleurs, que votre attachée de presse est dévouée mais que ce n’est pas elle qui décide des budgets et des priorités, vous quémanderez un café avec votre éditeur, mais il prépare déjà sa rentrée de janvier, votre fenêtre de tir est déjà passée. Désolé.
Vous n’avez plus qu’à vous démerder tout seul. Si jamais, pour une raison ou pour une autre, vos ventes commencent à décoller, la Maison saura voler au secours de votre succès naissant. Sinon, bah, tant pis. Après tout c’est comme ça chez plein d’autres éditeurs : on lance quatre ou cinq romans sans trop les promouvoir, en se disant qu’il y en a bien un qui va marcher – sans qu’on sache jamais trop pourquoi.
J’en ai vu passer pas mal, des auteurs comme ça, plutôt bons, tombés avec les honneurs dans les oubliettes de Gallimard. Tenez, rien que dans ma bibliothèque, qui est petite (je garde peu de livres, je les donne (ou je les prête mais c’est pareil)), je viens de retrouver Arnaud Oseredczuk (59 préludes à l’évidence) et Laurent Gautier (Notices, manuels techniques et modes d’emploi)… Vous avez déjà entendu parler d’eux ?
Certains tiennent bon. Prenez Patrick Goujon a publié 4 romans dans la Blanche – vous avez déjà entendu parler de Patrick Goujon ? Je parie que non, et c’est bien dommage, ses livres sont excellents. Tous. Et Benjamin Berton, et Laura Alcoba...
Je ne connais pas les chiffres de vente de ces livres, mais là encore, imaginons. Mettons 1000, 2000 ? Ce qui serait encourageant dans une petite maison (rappelons que les ventes moyennes d’un premier roman sont de l’ordre de 500 ex. On parle d’une économie quasi-associative, là) est forcément compris chez Gallimard comme un échec commercial. J’imagine qu’on doit aussi vous le faire sentir, dans les bureaux ou au téléphone, que le comptable est un peu déçu. Après ça, accrochez-vous pour écrire le deuxième.
Bref ! Tout ça pour vous dire que j’avais envie de vous parler d’un roman sorti en septembre chez Gallimard. Un roman dont je n’ai entendu parler qu’il y a deux semaines – et pourtant, cette année, pour Standard, je m’étais penché sur la Rentrée plus que d’habitude.
Un roman frais, enthousiasmant, qui donne envie d’en lire d’autres et de se remettre à écrire.
Un roman qui mériterait largement de passer l’hiver.
Mais je suis déjà beaucoup trop long, là. On en cause la semaine prochaine. De toute façon, la rentrée étant officiellement déclarée fermée hormis pour les lauréats des prix, le livre n’est plus à quelques jours près.
Allez, je sors.