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Chroniques de l’ordinaire bordelais. Épisode 37

Publié le 09 décembre 2012 par Antropologia

Liquidité et transparence

Dans les confins d’une zone suburbaine de l’agglomération bordelaise, parmi les magasins de meubles, décoration et matériel hi-fi aux enseignes multicolores, je me dirige le cœur battant, mon sac rempli de preuves de solvabilité, vers le lieu où je trouverai peut-être le financement de ce charmant appartement de la rive droite, visité il y a peu. La vitrine est engageante, ils sont « numéro un en France ». Confiante, je m’installe dans l’un des canapés aux formes géométriques, sous une toile d’artiste aux formes géométriques tandis qu’une agréable secrétaire m’offre un thé. Tout est transparent, on se voit de bureau en bureau. A travers la vitre du fond, deux hommes en costume viennent de me jeter un coup d’œil et se mettent à rire. Une vague impression que ce rire me concerne et je songe à mon apparence. Je viens demander de l’argent mais je n’ai pas pensé à m’habiller en femme riche. Je suis arrivée en jeans et en baskets avec, ce qui aggrave probablement mon cas, un K-Way à cause de la pluie. L’un des hommes en costume se trouve être Monsieur S., le courtier immobilier. Il se dirige à présent vers moi : gel, chemise noire, gourmette, chaussures cirées à bouts pointus, poignée de main ferme. Pas de sourire, je perds peu à peu mon assurance. Il m’installe sur une chaise inconfortable dans son bureau en verre, tandis que derrière son ordinateur, une calculatrice à la main, il épluche les fiches de paie dans son gros fauteuil pivotant en cuir. Tant de transparence me trouble, d’autant qu’il repousse sa calculatrice en soupirant et croise ses doigts en levant finalement les yeux vers moi : « Et qui nous dit que Monsieur n’ira pas bosser à Carrefour l’année prochaine ? ». Monsieur appartient à la catégorie « chercheur précaire » tandis que je travaille dans le secteur médico-social. « On vous prêtera peut-être… Mais faudra pas venir pleurer si vous vous retrouvez interdits bancaires. De toute façon, avec ce que vous gagnez, oubliez le centre ville ! Peut-être à Mérignac… et encore, ça grimpe actuellement ». Sur mon insistance, il condescend à faire une simulation sur son ordinateur et me la tend, l’air dégoûté. Je me sens misérable en réajustant la capuche de mon K-Way à la traversée de l’ultime porte vitrée m’amenant vers la sortie. La médiocrité de ma situation financière m’apparaît désormais limpide : il paraît qu’on ne prête qu’aux riches et je n’en fais pas partie.

Stéphanie Gernet



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