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Eclats de voix. Une anthropologie des voix, David Le Breton, Métailié, 2011. Compte-rendu (très) critique

Publié le 09 décembre 2012 par Antropologia

Je crains que la mienne, de voix, ne soit guère élogieuse… Si à la lecture du titre, puis du 4ème de couverture, vous pensez, comme moi, trouver des instruments pour analyser, décrypter les voix, des mots pour dire et écrire ce que la voix révèle, pour en faire une analyse pragmatique, des outils pour écouter et entendre ce qui est transmis, au-delà des mots, eh bien, vous faites fausse route.

L’auteur n’enquête pas ou, plutôt, enquête dans les livres et, question érudition, il n’y a rien à redire. Reprenant son procédé, je vais donc le citer :

«  La voix est une trace de présence, une part du corps que ne limite pas l’espace, même si l’autre n’est pas visible, sa parole atteste de sa proximité et de son aisance à se rapprocher si cela est nécessaire. »

« La voix maternelle contient les sensations, les émotions de l’enfant, en maintenant un espace sonore de sécurité et de confiance. » (p.81)

« Quand la parole manque ou que la voix suffoque devant l’indignation ou l’effroi, il reste le cri, l’exclamation, l’interjection, le soupir, autant de reculs du langage articulé devant un trop-plein de sens qui laisse sans voix. » (p.119)

« Parfois la voix se casse et peine à se dire, elle se perd en route. Ainsi, le bégaiement traduit différents incidents d’énonciation dans la fluidité ordinaire de la parole… » (p.127)

«  Impossibilité soudaine de parler comme si la voix  était engluée en soi, devenue inaccessible, trop lourde à charrier jusqu’à la bouche. » (p.127)

«  Ne plus disposer de sa voix c’est aussi perdre la parole et ne plus assurer sa position d’acteur à l’intérieur du lien social. » (p.141)

« L’appartenance plénière à la condition humaine implique d’en posséder les attributs, et notamment une voix. » (p.203)

« Oral et écrit définissent deux pôles qui ne sont jamais purs. L’oralité est rarement coupée de l’écrit, sauf dans quelques sociétés aujourd’hui en voie de disparition ou d’alphabétisation, et l’écriture n’est jamais séparée de l’oralité. » (242)

Si vous songez que, par pure malice, voire méchanceté, j’ai isolé ces quelques malheureuses phrases, j’ai le regret de vous annoncer que ce n’est pas le cas, je ne connais pas l’auteur et étais bien disposée en achetant le livre. Non, mais incapable d’aller au-delà de la page 70, j’ai feuilleté le livre, en quête naïve de ce que j’y cherchais. En vain. Afin de vous donner un aperçu, j’ai pris une phrase dans quelques pages ouvertes au hasard, je n’avais hélas que l’embarras du choix !

Outre le ton sentencieux, le livre est un formidable catalogue dont l’exhaustivité impressionne (par la quantité de travail fourni par l’auteur) : il balaie ainsi le temps et l’espace, selon la formule, et rien ne semble manquer, la voix sur les cinq continents, dans la religion, aux différents âges de la vie, des sourds, d’Hitler, dans la mythologie grecque…

D’abord impressionnée par l’importance de la bibliographie de l’auteur (une trentaine de titres), je referme ce livre en me posant un certain nombre de questions. Beaucoup pour être exacte.

D’abord quelle est la définition de l’anthropologie de l’auteur ? Faut-il renoncer à la spécificité de l’anthropologie, l’enquête, pour lui préférer une compilation, un empilement d’informations disparates et de généralités ? A quoi sert ce livre ? Quel est le public « imaginé » destinataire de ce type d’ouvrages ?

Car Le Breton n’est pas le seul auteur « médiatique » dont les ouvrages trônent en bonne place sur les tables des libraires. Emerge une nouvelle question : quelle logique « marketing » conduit certains éditeurs à favoriser l’émergence d’une anthropologie paresseuse et contemplative : sans enquête, sans questions épistémologiques, sans réflexivité ?

Il semblerait que l’idée sous-jacente serait que le public élargi tel qu’il est envisagé a besoin de produits faciles à consommer et digérer,  prêts à consommer mais non à penser. C’est entre autre là que réside la paresse : au lieu de chercher à transmettre un savoir complexe, la restitution de l’enquête, une pensée, par la recherche d’une écriture appropriée par exemple, il suffit de disserter sur des généralités et des lieux communs. Servis par une belle écriture et une érudition souvent conséquente, les livres paresseux, dispensés de pensée, trouveront bien un public bienveillant…

Colette Milhé



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