Malgré l'annonce d'une "annulation" - ou d'une "modification" selon les versions - d'un décret lui assurant la concentration exceptionnelle des pouvoirs mais sans changer la date d'un référendum sur un projet de Constitution controversé, le président égyptien confirme - s'il en était encore besoin - l'agenda autoritaire et théocratique des Frères Musulmans. Une politique qui est en outre parvenue à fédérer l’opposition aux islamistes, à replacer l'armée au cœur du pouvoir et à embarrasser la diplomatie américaine: le discours d’Hillary Clinton invitant les deux parties au dialogue rappelle celui des dernières semaines de Moubarak. La guerre civile menace-t-elle l'Égypte?
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Il est parvenu en premier lieu à ressouder, des partis de gauche aux libéraux, une opposition égyptienne dont le morcellement lui avait permis de l’emporter au second tour des élections présidentielles. Le Front du salut national (FSN) qui refusait "de participer au dialogue proposé" par le président égyptien tant que celui-ci n’aura pas annulé à la fois le décret du 22 novembre et le référendum, appelle, malgré l'annonce présidentielle d'une "annulation" de la mesure, à la "poursuite des manifestations" et "à la grève générale". Les heurts violents qui ont secoué Le Caire et plusieurs provinces attestent du fait qu’il ne s’agit pas seulement d’une mobilisation isolée de l’intelligentsia cairote. L'ouverture ce dimanche d'une enquête pour trahison à l'initiative du nouveau Procureur général et visant les principaux leaders de l'opposition Amr Moussa, Mohamed ElBaradei and Hamdeen Sabbahi n'est pas de nature calmer la situation.
En accélérant brusquement la captation d’un pouvoir au profit des seuls Frères Musulmans, pouvoir guetté par ces derniers depuis 84 ans, et en ne laissant que cinq jours à peine aux Égyptiens de la diaspora pour prendre connaissance du texte et voter dans leurs ambassades, la nouvelle direction a anéanti - s’il en restait encore - les doutes sur l’existence d’un "agenda caché": les militants de la Confrérie n’étaient descendus dans la fournaise de la Place Tahrir qu’une fois certains des acquis révolutionnaires. Au même moment, l’un des leaders des Frères Musulmans, Essam Al-Erian, expliquait au New York Times que son mouvement "n’avait pas l’intention de présenter de candidat aux élections présidentielles". Les mêmes juraient peu après "qu’ils ne brigueraient que 30% des sièges aux législatives". Comment ne pas s’interroger "raisonnablement" sur leur prétention d’établir "un État démocratique et civil"?
Effet boomerang sur la Tunisie
Des doutes désormais superflus à bien regarder les 235 articles de la nouvelle Constitution, entre ceux qui interdisent "d’insulter les prophètes des religions monothéistes" tout comme ceux qui confèrent à l’université islamique d’Al-Azhar un rôle de "consultation" dans "l’interprétation des principes de la Charia". Le principal responsable de cette institution avait d’ailleurs appelé le président égyptien à seulement "suspendre" le décret impliqué. Outre la presse internationale dont plusieurs représentants - notamment ceux de RFI - ont été maltraités par les islamistes lors des dernières manifestations, le dirigeant égyptien a sérieusement entamé son crédit auprès de Washington après avoir pourtant été félicité par Barack Obama pour sa médiation dans le conflit opposant Israël et le Hamas à Gaza. Ses manœuvres ont également eu pour conséquences de remettre l’armée égyptienne au cœur des arbitrages institutionnels et politiques. Ce sont les chars qui "protègent" désormais le palais présidentiel.Effet boomerang, la révolte populaire égyptienne pourrait alimenter en retour celle, déjà manifeste, des Tunisiens: en témoigne, dans un récent débat sur France 24, le vif embarras d’un conseiller du premier Ministre de Tunisie peinant à défendre le principe d'une conciliation entre l’islam et la démocratie devant le déroulement des évènements en Égypte.
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