LE PILOTE EST DANS L'AERONEF
Cette fois-ci tout est en place. On ne doit pas pouvoir laisser dire : « Tutto è a posto, niente in
ordine » [proverbe italien : Tout est en place rien n'est en ordre]. On est en décembre de 1998, le
pilote est maintenant dans l'aéronef, on va pouvoir décoller dès que la tour de contrôle le permettra.
Zinzin amène son appareil en bout de piste. Auparavant, il souhaite la bienvenue à bord :
« Ici Zinzin et son équipage. Nous sommes heureux de vous accueillir à bord. Nous espérons que
vous volerez jusqu'au bout en notre compagnie ».
Les passagers ne mouftent pas trop devant le petit mot d'accueil. Il s'agit pour le moment de
discutailler de comment on voit l'évolution des salaires pour l'année qui vient, c'est le rituel chaque
année , on verra après à parler temps de travail, on ouvrira les négos là-dessus en début d'année
1999. Bon, ça l'air de rien, mais le salaire, c'est pas toujours (c'est plutôt rarement), un sujet
qu'on sent suel. Là, ça risque de souquer un brin.
Parce que c'est pas facile tu vois de comprendre le pourquoi du comment de la manip qui fait que,
de toute façon, nos salaires, comparés à ceux des autres boîtes dont auxquelles il est convenu de
faire révérence, sont un peu hauts, considéré le fait qu'on tient compte de l'évolution passée du
marché, qui était à l'époque une projection, et qu'il convient d'anticiper en avance un possible
recul de l'augmentation des dits salaires sur l'année qui vient, et c'est donc pourquoi on vous fait
la propale suivante, qui contient certes pas mal d'augmentations de médianes de 0%, mais si on
suivait la ligne pure et dure des policies HP, c'est même des augmentations négatives qu'il faudrait
par-ci par- là etc etc....
Là-dessus La Rognée prend la parole : « Le marché du travail est contrôlé par le patronat, alors
il baisse ». Bon, est-ce qu'il aurait compris quelque chose lui ? - mais voilà que, n'ayant pas rendu
la parole qu'il avait prise, il continue : « Je vous pose la question traditionnelle de chaque année :
comment ça se fait qu'on est toujours en avance sur le marché, et en même temps on est toujours
en retard ? Même Einstein ne s'y retrouverait pas ». Nouvelles explications. Mais La Rognée
pense ce qu'il pense : « Vous ne vous foutez pas de notre gueule, par hasard ? »
Hasard ou nécessité, le débat continue : bon, on va retirer les nouveaux embauchés et les
promotions, faire du présent/présent pour comparer ce qui est comparable, vous donner tous ces
chiffres bruts de bruts, - ça n'empêche pas certains de penser en leur for intérieur que les chiffres
c'est comme le bikini, ça cache autant que ça montre, et les voilà à faire un break mental vers
d'autres perspectives : sous la plage les pavés peut-être, mais sur la plage, celle-là elle est quand
même bien équipée, dénégate pas y a vraiment de quoi fantasmasser, munie en flotteurs avec ça,
t'as du flou dans le vaporisateur va falloir redresser ton mental en foirade, donc, oui bien sûr, il faut
revoir les chiffres, et quant aux projections de salaires, « ce ne sera pas la même chose l'année
précédente », puisqu'on le dit ah bon.
Mais vient une autre affaire. Il faut expliquer maintenant qu'on ne prendra plus en compte le CPS
[le cash profit sharing] dans les données salariales, alors ça sent encore la manip. La Rognée,
décidément en verge, de lancer une nouvelle tirade. Il demande « d'où vient cette décision, pour
savoir à quelle sauce les employés vont être mangés ». Le Big réplique qu'on fait un procès
d'intention. Mais non, ce n'est pas l'intention de La Rognée : « Il n'y a pas de procès d'intention,
il n'y a rien... ». Mais un peu plus tard, dans le débat, après avoir demandé : « C'est quoi l'objectif,
grosso modo », il se reprend : « Il n'y a pas de procès d'intention, il y a procès tout court ».
Bon c'est clair au moins.
Les associés des CéGéTeux s'en prennent quant à eux à Time&Labour [système de contrôle des
temps], expérimenté dans le commercial. La preuve que la direction manipe, c'est que, « après la
nouvelle rilise, les caractères sont plus petits, on ne peut plus lire sur l'écran ». Evidemment, vu
comme cela...
On en revient aux structures salariales. Les propales ont jeté un froid. Les CéQFDéTés, qu'on avait
peu entendus, s'inquiètent pour les « petites boîtes » : « Ce n'est pas suffisant... J'ai pas bien
entendu quelle était la proposition ? ». La Bergère voit rouge : « Il y a des gens qui vont voir ailleurs
parce que l'herbe est plus verte ».
Là-dessus on décide d'un break. Un peu agité (avant de servir) côté direction. Finalement, on revient
avec de nouvelles propales. Nouveau break, probablement un peu agité cette fois-ci côté locdus,
vu la longueur de la chose.
Au retour, après avoir reconnus « un certain effort », les locdus comme un seul homme posent leurs
conditions. C'est pas tout, si on veut « un dialogue riche » (riche en péripéties ?), alors il faut parler
ranking et même scoping, parce que, tu vois, on peut subodorer qu'il y a comme une liaison entre
scoping, ranking et salaires. Comme on parle salaires, parlons donc scoping et ranking.
Pour ce qui est du scoping, c'est clair, et carrément un « point bloquant », il faut n-é-g-oc-i-e-r le
scoping européen. Pour ce qui est du ranking, ils ne veulent plus du « ranking relatif » (çà va être
difficile, parce que tu connais, toi, un ranking, c'est-à-dire un classement, qui ne soit pas relatif ?).
Enfin les salaires, ça a probablement à voir avec les matrices. Alors, ils veulent participer à la
construction des matrices : çà, ça va être très difficile, parce qu'on ne peut tout de même pas leur
donner les ficelles [Noter la subtilité du style : il y a "çà" et "ça". Cà n'est pas la même chose; ça est
une forme syncopée de cela; il peut aussi désigner, en psychanalyse, l'ensemble des pulsions
inconscientes (le ça, le moi et le surmoi); quant à çà c'est soit un adverbe de lieu ("viens-çà que je voie")
soit une interjection ("çà, allez-vous vous taire").
En plus, La Rognée aimerait, lui, « reparler du temps de maturité » : çà, encore
un truc où on n'est pas si bien que ça, parce que, comme disait l'autre, « la maturité, c'est long,
surtout vers la fin ». Un autre a remarqué, « entre parenthèses », que ce n'est pas parce qu'on
augmenterait à vau-l'eau les salaires, qu'on diminuerait le profit, vu que des gens motivés, c'est
mieux pour faire du profit que des serpillières.
Avec tout cela, les locdus ont posé leurs conditions. Mais la suite ne leur donnera pas une
satisfaction satisfaisante. Ils ne signeront donc pas d'accord sur les salaires. Bon. Noël arrive
et le nouvel an, il est temps de songer à d'autres festivités, n'est-il pas ?