Une émission de radio, cela se prépare, parait-il. Quand vous avez le temps. Sinon, vous n’avez plus qu’à croiser les doigts pour ne pas être pris devant le micro d’un fou rire inextinguible ou d’une crise de bégaiement… Vous me direz, dans l’un ou l’autre cas, ce n’est pas dramatique puisque vous n’êtes pas en direct. C’est l’avantage de l’enregistrement ; et honnêtement, c’est rassurant de penser que vos lapsus, bêtises et phrases mal construites vont pouvoir partir à la trappe… (Encore que… Pas forcément ; mais ça, vous ne le savez pas…)
Jeudi 29 novembre : ciel plombé, pluie sur la région lyonnaise, neige dans la Loire, département qu’il va me falloir traverser pour atteindre les studios d’Ebreuil. Autant vous dire que je suis plus préoccupé par les conditions météorologiques que par ce que je vais bien pouvoir raconter à Christine Thomas-Chancel, l’animatrice de l’émission « D’une plume à l’autre », et cela d’autant plus que je dois traverser un col qui culmine à presque 800 mètres d’altitude…
Ce n’est rien en comparaison du Galibier, me direz-vous et vous aurez raison ; mais vu le temps, et le fait que ce col est réputé pour sa dangerosité l’hiver, j’ai de grandes chances de me trouver bloqué quelque part… Aïe, aïe, aïe, pourquoi ai-je emprunté cette route alors qu’il y en a d’autres, moins rapides, certes, mais peut-être plus sûres ?...
Et bien non. Le paysage est enneigé, certes, et c’est superbe, mais la route est impeccable. Et le voyage aurait pu se dérouler sans anicroches si je n’avais pas eu l’idée stupide de me tromper de direction à Vichy et de me perdre dans la ville –que j’aurais dû contourner si j’avais su lire les panneaux. Une heure perdue… Heureusement que j’avais pris de la marge…
Ebreuil. Petite commune de l’Allier, au bord de la Sioule, un peu tristounette sous ces nuages noirs mais qui doit être magnifique au printemps et en été, car ce paysage qu’il faut imaginer verdoyant a quelque chose d’à la fois grandiose et reposant. Je suis nettement en avance sur l’horaire prévu pour l’enregistrement. Profitons-en pour faire un peu de tourisme, se balader dans ces rues étroites et humides, visiter l’Abbatiale Saint-Léger, manger un sandwich pour éviter les gargouillements indésirables de l’estomac…
Trouver les studios de Radio Coquelicot n’est pas difficile, surtout quand vous avez un plan à la main, et que votre arrivée coïncide avec celle de l’animatrice, une dame très alerte, très vive, aimable, qui vous met d’emblée en confiance et qui, vous allez le découvrir bientôt, a, elle, parfaitement préparé son interview. C’est une vraie professionnelle, cela se voit et s’entend ; elle a le don de vous mettre à l’aise et de vous rassurer, au cas où vous auriez des sueurs d’angoisse (ce qui n’est toujours pas mon cas) ; aurais-je du mal à réaliser que je suis dans un studio de radio, que je vais parler devant un micro, que des milliers de gens vont m’entendre et que j’ai intérêt (surtout en étant prof de français) à ne pas raconter n’importe quoi n’importe comment ?...
L’enregistrement ne commence pas tout de suite ; il faut d’abord donner au sympathique ingénieur du son qui officie dans sa cabine les deux titres de chansons que vous voulez entendre pendant les pauses, et ce n’est pas évident de les trouver quand vous avez choisi des morceaux très peu connus ; et puis, il faut arranger les micros, s’installer à son aise, écouter (et suivre, évidemment) les recommandations de l’animatrice et de l’ingénieur : éviter par exemple les gestes brusques, les frottements de main sur le bureau, les tapotements de doigts qui risquent de parasiter la prise de son. Vous découvrez en fait un univers qui vous est totalement inconnu, l’envers du décor, et c’est cela qui fait aussi de cette expérience quelque chose de passionnant.
Encore quelques minutes de patience, pendant lesquels Christine vous briefe rapidement sur la manière dont l’émission va se dérouler. Et puis, tout est prêt ; c’est le moment. L’indicatif de l’émission résonne dans le casque que vous avez posé sur vos oreilles… Et vous oubliez tout.
Vous oubliez que vous parlez devant un micro, vous oubliez l’improbable trac, vous vous laissez guider par Christine dans ce jeu de questions-réponses qu’elle manie à la perfection, et vous ne voyez pas le temps passer. Car il y a, je dois bien l’admettre, une certaine jouissance à parler de soi-même, de ses livres, et surtout de ses personnages, comme s’ils étaient des personnes réelles, des amis intimes dont vous auriez envie de chanter les louanges. On a même envie de défendre les plus détestables d’entre eux, qu’on se surprend alors à aimer, malgré tout. Et le plus étonnant est peut-être la facilité avec laquelle vous entrez dans le jeu et laissez tomber les barrières de la timidité ou de la pudeur. L’interview serait donc une confession ? Presque, et c’est une évidence.
L’émission arrive à sa fin. Ce sont les traditionnels remerciements, l’indicatif résonne à nouveau. Vous retombez dans le présent, après un voyage dans le temps qui semble n’avoir duré que quelques secondes. C’est l’heure de reprendre la route. Un rayon de soleil se glisse entre deux nuages et illumine pour un instant le paysage. Vous repartez avec l’émission enregistrée sur votre clef USB et vous n’avez à présent qu’une hâte : être enfin arrivé chez vous pour l’écouter…