Pour ceux qui ne seraient au courant de mon parcours scolaire, je vous plante le décor : J'ai eu mon bac. J'ai été à la fac, parce que c'est ce qu'on attendait d'une jeune avec des "capacités telles que les miennes" - rien que ça. Je n'ai pas aimé, j'ai déprimé, mais je me suis forcée, puis, j'ai arrêté. J'ai travaillé, j'ai réfléchi, j'ai eu 10 000 idées de projets d'avenir, qui sont toutes tombées à l'eau. Il y avait toujours, dans les métiers susceptibles de me plaire, un truc qui me bloquait, que ça soit dans les conditions du travail en lui-même ou de la formation requise. J'étais chiante, en bref. Puis, cette année, au lieu de reprendre la fac comme promis, j'ai démarré un CAP Petite enfance à distance. J'ai toujours voulu faire ça, et vu l'impasse dans laquelle se trouvait mon ambition avortée, il valait mieux ça que rien. J'ai cherché un stage, et j'en ai trouvé un en maternelle, et c'est ce que je fais à présent.
Mon premier jour de stage, je m'y suis rendue à reculons, persuadée que comme tout ce que j'avais entrepris jusqu'à maintenant, j'allais détesté ça et en souffrir. Surprise : j'adore. J'ai rarement (jamais ?) eu l'occasion de dire ça d'une formation ou d'un travail, mais c'est le cas : j'adore. Pour la première fois depuis plus d'un an que je cherche ma voie, je me suis dit : c'est ça que je veux faire, et je suis prête à passer le concours, même si y a des épreuves orales et que je hais les épreuves orales et bien je suis quand même prête à faire ce putain de concours et à faire ce métier toute ma vie.
Qu'est-ce que ce métier ? ATSEM : Agent territorial spécialisé des écoles maternelles. Un nom très classe pour, en gros, dire "la personne de l'ombre qui fait tout ce que l'instituteur veut pas se faire chier à faire, tout en gagnant moins et en ayant moins de congés". Voilà, c'est triste à dire, mais c'est ça. Pour être instituteur, tu fais cinq ans d'études. Pour être ATSEM, tu passes juste un concours. En étant instituteur, tu fais la classe, et dès que c'est la pause, ou qu'il est 16h30, tu bois un café, tu rentres chez toi, et comme par magie, dès que tu reviens dans ta classe, tout est comme neuf, toutes les activités sont préparées, y a plus qu'à mettre les pieds sous la table. Pourquoi ? Parce que l'ATSEM, qui n'a pas vraiment de pause, est là pour tout te faire. Et elle est payée moins que toi en plus, la bougresse, hahahaha !
J'ai l'air sarcastique. Mais c'est pour dire que malgré ça, j'ai quand même envie de me lancer là-dedans. Oui, j'aime nettoyer les tables, oui j'aime balayer les classes, oui j'aime découper 100 vignettes de kangourou et les trier par taille, oui j'aime accompagner les enfants aux toilettes, oui j'aime leur crier dessus quand ils n'obéissent pas, oui j'aime les aider à faire correctement ce qu'on leur demande, oui j'aime les aider à fermer leurs manteaux et mettre leurs chaussures, oui j'aime ranger la classe, oui j'aime moucher leur nez, oui j'aime essayer de consoler les enfants qui pleurent, oui j'aime frotter les chiottes et changer les sacs poubelles, oui j'aime me rendre utile, me dire que si moi et les autres ASTEM n'étions pas là, les instituteurs seraient dans la merde, ils bosseraient dans la crasse et ne feraient que du coloriage par flemme d'avoir à préparer les activités complexes qu'ils se permettent quand c'est à quelqu'un d'autre de s'en occuper dans les coulisses. Oui, j'aime tout ça, l'impression d'avoir ma place quelque part, d'être importante, utile, j'aime quand les enfants commençent leurs phrases par "Ellie", parce que je me dis qu'ils se souviennent de moi et que pour eux, je suis quelqu'un. J'aime cette impression que je n'ai jamais en dehors de l'école maternelle. J'aime, pour la première fois, aller travailler, me lever tôt et le lundi matin. J'aime même si c'est payé des clopinettes (et encore, étant stagiaire, ce n'est même pas payé) et que mes parents espéraient plus pour moi.
Et pourtant, je ne sais pas si je vais le faire.
Pourquoi ?
Parce que je suis tiraillée entre l'envie de faire ce métier que j'adore, et la peur de ne jamais être indépendante financièrement. Ce métier, comme tant d'autres métiers, ne me permettra jamais d'en vivre seule. Si demain je suis nommée ATSEM et rémunérée, je ne pourrai pas partir de chez mes parents. C'est une honte, vu les journées que se coltinent les ASTEM ? Certainement, mais c'est ainsi que va le pays. Tu bosses, et on te donne à peine de quoi vivre. Je flippe. Certes, j'ai un copain, avec qui je vais sûrement habiter. Mais s'il n'était pas là ? Si un jour on rompait ? Si un jour, le deuxième salaire disparaissait ? Seule, je ne pourrais pas. Et ça me fait peur. Si je cherche un métier que je pourrais faire, c'est bien pour pouvoir être libre, indépendante, avoir mon logement, avoir ma vie, être adulte. A quoi bon se casser le cul de 8h à 17h30 sans pause si on a même pas un chez-soi où rentrer à la fin de la journée ?
Alors, que choisir ?
Je pars du principe que faire le métier qu'on aime, c'est génial. Si on peut être heureux de se lever le matin, c'est qu'on a au moins une chose qui en vaut la peine dans notre vie. Mais si ce métier ne nous permet même pas de vivre, combien de temps allons-nous l'aimer ? Est-ce que je vais aimer très longtemps être l'ombre et la boniche de l'instituteur si mon pathétique salaire ne me permet même pas d'avoir un appartement à minimum 500 euros de loyer ? Hein ?
Je ne crois pas. Je ne me voile pas la face. Ou tu fais un métier que tu hais dès le départ, et qui te permet d'être content le soir, car tu as une vie bien construite et assez aisée en dehors. Ou tu fais un métier que tu aimes, mais tu finis par le détester, car tu es payée avec des cailloux, et des cailloux ça ne paient pas l'essence, les factures, les courses et le loyer. Soit tu aimes ton boulot et en plus il paie bien et alors là t'es chez Free tu as tout compris.
Alors, je ne sais pas. J'hésite. Je change d'avis tous les jours. Quand les ATSEM me demandent, toutes contentes, si c'est le métier que je veux faire, je ne peux pas m'empêcher de répondre "oui", plutôt que "à vrai dire je sais pas, c'est tellement payé de la merde comparé au travail qu'on fournit que je me pose encore quelques questions". Voilà, dire "oui", c'est plus facile. Mais choisir pour de vrai, ça ne l'est pas. De toute manière, ça ne le sera jamais. Deux possiblités : je finis ATSEM, pauvre, mais contente un temps. Ou, je retourne à la fac, j'ai peut-être un travail par la suite, je ne suis pas pauvre, mais je n'aime pas ce que je fais de ma vie. Aucune de ces deux options ne me tentent des masses, et j'aimerais bien faire un mix des deux, genre "Je suis ATSEM et bien payée et j'ai une grande maison et la vie est belle". Ouais, mais non. Ici, on est en France. C'est tout.
J'ai tellement peur pour mon avenir. Tellement peur de ne jamais avoir les moyens de m'achetr une maison. Tellement peur de ne jamais avoir les moyens d'élever mes enfants. Tellement peur de ne jamais avoir les moyens d'avoir la vie que tout le monde mérite : une vie correcte. Tellement peur que je n'arrête pas de me dire que ma dernière chance, c'est de retourner à la fac en septembre. Pourtant, j'aurai mon CAP et toutes les cartes en main pour faire le métier qu'il me plait... mais je me sens obligée de tout foutre par terre pour aller m'emmerder à la fac, histoire d'avoir plus tard un boulot qui m'emmerdera, mais qui paiera le loyer.
Bref. Je ne sais pas quoi faire de ma vie. Je tatônne, je m'interroge, je me demande si je peux risquer ma vie matérielle pour le simple plaisir de travailler, alors qu'un bonheur personnel pourrait peut-être parfaitement compenser une vie professionnelle ennuyeuse et incompatible avec mes vraies ambitions.
Un jour, il va bien falloir que je grandisse. Que je prenne la décision qui régira le reste de ma vie. Que je prenne le putain de risque que je redoute tant.
Mais quand, purée ?