Quand la façon de faire la nouvelle dépasse la nouvelle

Lettre aux médias-télé d'ici. J'ai hésité avant de la mettre en ligne...mais voilà, urgent besoin de me vider le coeur...

Cher TVA, LCN, RDI, V, SRC, et autres chaînes de télédiffusion du Québec. J'ai déjà eu beaucoup de respect pour toi. 
Travaillant moi-même dans ce merveilleux monde de la télé, je sais que pour captiver l'auditoire, il faut être audacieux et aller toujours plus loin. 
Mais depuis quelques mois, je trouve que ça commence à faire, la limite est plus que dépassée, et je crois ne pas être la seule à ressentir ce sentiment.

Je sais, tu as des côtes d'écoute à atteindre pour être le numéro #1, le meilleur d'entre tous, le plus regardé, le plus écouté! Tout ça parce que ce sont ces sacro-saintes cotes d'écoute qui déterminent ta "survie", pour garantir la publicité qui sera diffusée sur tes ondes afin de rapporter de plus en plus d'argent pour entre autres payer ton monde, comme moi, la réalisatrice, par exemple.

Mais là il y a toujours ben une maudite limite!!! Tu es devenu insouciant, insensible? Au nom de quoi?! De l'argent? Des cotes d'écoute? De tous les autres le font, donc on ne peut pas faire autrement, il faut le faire nous aussi?!

Ne me dis pas que ce que les téléspectateurs veulent et réclament ce sont ces traitements de la nouvelle, enfin, j'ose espérer que ce n'est pas la majorité qui en redemandent... 
Ne me dis pas que tout ce que tu diffuses ce n'est que la pure vérité...Et tu sais aussi bien que moi que la télé peut amplifier et déformer de beaucoup les faits réels par le choix de l'angle et du traitement de l'histoire, de l'image, du montage, des commentaires entendus, et je passe toutes les autres astuces pour faire un soi-disant bon show.

Plus on sert de la télé sensationnaliste, de voyeurisme, à la limite du freak show, plus tes gentils téléspectateurs en redemanderont, car même s'ils trouvent ça dégueulasse, comme c'est juste ça qu'il y a au menu, ils vont finir par s'y faire et malheureusement, plusieurs se contenteront de bouffer la même chose indigeste jour après jour...

As-tu déjà pensé que bien des gens se gavent de ta recette pour faire ton émission de nouvelles, il y a plein d'autres qui ont la nausée... comme moi. J'ai juste envie de vomir de gêne, de honte, de peine, de colère. J'ai une overdose d'indignation...

Je suis plus que fatiguée, écoeurée et triste de toute cette tendance à la course aux témoins bidon, aux  diagnostiques psychologiques et judiciaires des spécialistes qui remâchent d'un drame à l'autre les mêmes concepts, des portraits des tueurs et de ce qu'ils étaient avant de devenir une vedette-criminelle-post-tragédie. J'en ai marre de ces images et de ses commentaires journalistico-sensationnalistes avec une fausse compassion et de la fausse émotion pour faire une soi-disant bonne histoire. 

J'en ai assez de ce manque de respect que tu as pour les victimes, pour leur entourage, pour nous, les téléspectateurs, pour moi. J'en peux plus d'avoir cette nausée chronique et continuelle quand je te regarde.

Tu peux me dire que j'ai le choix de fermer la télé si ça ne fait pas mon affaire, tu as raison, et c'est ce que je fais de plus en plus, et ce, depuis un bon bout de temps. Surtout quand arrivent des drames sans noms comme celui d'aujourd'hui? Et toi, cher décideur de ce qui va aller sur les ondes, quand tu rentres chez toi parmi les tiens, t'es pas un peu gêné, mal dans ta peau? Sois honnête avec moi et avec toi-même; est-ce que tu te dis vraiment, "Wow quel bon coup, quelle belle journée aujourd'hui, j'ai fait du bon boulot! »

Quand tu regardes tes enfants s'endormir le soir, est-ce que tu les imagines juste une seconde à la place de ceux et celles qui ont été interviewés en pleurs et sous un choc traumatique épouvantable à la sortie de leur école, lieu dans lequel un fou a tué plusieurs de ses petits compagnons de classe?

Et si ta voisine que tu connais à peine, celle qui passe incognito dans le quartier, se livrait à l'impossible et tuaient ses propres enfants, peut-être les petits copains de tes propres enfants, aimerais-tu te faire harceler pour témoigner sur cet horrible événement, pour parler de ce que tu ne connais pas, juste pour remplir des minutes en ondes, juste pour voir ta face à TV?

Alors toi qui diriges et choisis l'angle de traitement des événements tragiques, toi le journaliste affecté pour aller harceler la voisine, la grand-mère et le passant, et toi le téléspectateur qui te nourrit de ce buffet qui sens mauvais, questionne-toi un peu sur les raisons pour lesquelles tu fabriques de cette sorte de nouvelles et pourquoi tu la consommes.

Regarde à l'intérieur de toi, mets-toi donc à la place, pour vrai, de toutes ces victimes, et pose-toi donc la question franchement, et si c'était moi qui vivais un tel drame, de quoi j'aurais le plus besoin?

Bonne réflexion...