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Bal tragique à la Bastoche - épisode 12

Publié le 15 décembre 2012 par Mazet

Bal tragique à la Bastoche

Episode 12

Jourdan dans la Haute.

Boissard avait réparti les tâches et Jourdan n’avait pas moufté. Il avait, volontiers, laissé le soin à Marin d’arpenter le pavé de la Bastoche. Le turbin, qui lui revenait, demandait d’autres qualités. A la fin de sa conversation avec le commissaire, Bouscatel avaient trois noms de bourgeois qui fréquentaient son bal au moins une fois par semaine. Avant de commencer ses  investigations, il prit grand soin de sa personne. Quand il poussa la porte d’une bijouterie installée à deux pas de la place de l’Opéra, Nathan Cordier, le propriétaire, crut voir entrer un dandy londonien en quête de bijoux parisiens. Malgré la présence d’un couple béat d’admiration devant une rivière de diamants, il agita sa carte sous le nez du bijoutier. Un peu décontenancé, ce dernier bredouilla.

- Bonjour inspecteur, mais je n’ai pas signalé de cambriolage.

- J’en suis heureux, monsieur Cordier. Cependant, j’aimerais vous parler d’un sujet bien plus délicat.

Cordier fit signe à un commis de venir s’occuper des clients potentiels et invita l’inspecteur à le suivre dans l’arrière-boutique. Bien sûr, elle n’avait rien à voir avec la remise d’un bougnat du passage Thiérée. Elle était plus vaste que l’appartement que l’inspecteur occupait avec sa femme et leurs trois enfants. Des coins discrets avaient été aménagés à l’aide de paravent. C’est dans cette atmosphère ouatée, que devaient se conclure les affaires les plus lucratives de la bijouterie. Sans gêne aucune, Jourdan s’installa dans un fauteuil Louis XV.

- Monsieur Cordier, connaissez-vous Baptiste Charbonnier ?

- Ce nom ne me dit rien.

- Vous ne lisez pas les journaux ?

- Si mais…

- Alors, cela a dû vous échapper. Il s’agit d’un homme qu’on a retrouvé mort sur un trottoir de la rue Lappe.

- Je compatis…

- L’ennui, monsieur Cordier, c’est qu’il est mort après avoir reçu plusieurs balles.

La nouvelle ne sembla pas ébranler le bijoutier.

- Oui, mais je ne vois toujours pas en quoi cela me concerne.

- Pourtant, vous fréquentez assidument le bal qu’il animait au 13 de la même rue.

- En quoi est-ce un crime ? Avec mon épouse, nous aimons cette ambiance populaire. Nous la préférons aux soirées mondaines au cours desquelles sortent les langues de vipère. Chez Bousca, les gens sont là pour s’amuser, pas pour assassiner en parole leurs soi-disant amis.

- Je ne vous le reproche pas monsieur Cordier. Comprenez que dans ces circonstances, nous interrogeons tous ceux qui ont côtoyé la victime.

- Je comprends inspecteur. Mais si la victime est le jeune homme qui nous régalait avec son accordéon, sachez que nous nous contentions de profiter de sa musique.

Jourdan tenta un coup de Jarnac.

- Pourtant, des témoins affirment vous avoir vu trinquer plusieurs fois avec lui.

- Ils se sont trompé inspecteur. Nous avons été confondus avec d’autres clients. Je ne pense pas pouvoir vous aider beaucoup.

- Le soir du crime, vous n’avez rien remarqué d’anormal ?

- Quand a-t-il eu lieu, inspecteur ?

- Le dix-huit  juillet vers quatre heures du matin.

- Mon Dieu, je suis incapable de me souvenir de la soirée du 17. Mais, je ne me souviens pas qu’il se soit passé des choses anormales les dernières fois que nous sommes allés chez Bousca.

Jourdan fit mine de se lever. Le bijoutier sembla soulagé. Finalement, l’inspecteur se ravisa.

- Vous vous entendez bien avec madame Cordier ?

- Notre ménage est sans nuage depuis vingt ans.

- Même, comment dirais-je ? Sur un plan plus intime ?

- Vous passez les bornes de la décence. Je vais en référer à vos supérieurs.

Habilement, Jourdan calma le jeu.

- Vous avez raison, monsieur Cordier. Vous savez ce que c’est : la passion du métier, une question en entraine une autre. Acceptez mes excuses.

- J’y consens bien volontiers, inspecteur.

- Merci monsieur Cordier. Je me permettrais de rendre une visite de courtoisie à votre épouse.

Jourdan abandonna le bijoutier, un peu désemparé. Il n’avait pas un long chemin à parcourir. Les Cordier occupaient les trois étages situés au-dessus de la bijouterie. Après deux discrets coups de marteau, il fut accueilli par un majordome impeccablement stylé qui s’enquit de l’objet de sa visite.

- Prévenez là seulement qu’un inspecteur de police souhaite lui parler.

- Mais, c’est que madame reçoit !

- Ses invités se passeront d’elle pour quelques minutes.

Le temps d’un conciliabule et le larbin revint pour conduire l’inspecteur… dans la cuisine. Des arômes subtils de thé au jasmin, au magnolia et au lotus vinrent chatouiller ses narines. Deux magnifiques plats de macarons « Ladurée » excitèrent ses papilles. Madame Cordier tarda à arriver, sans doute connaissait-elle mal le chemin de la cuisine ! Elle portait fièrement sa petite quarantaine. Blonde, pulpeuse, son visage avenant contrastait violemment avec l’air compassé de son mari. Jourdan réitéra son couplet sur la mort de Baptiste. Véronique Cordier ne joua pas la même partition que son mari. Bien sûr qu’ils connaissaient monsieur Charbonnier ! Ils l’avaient même engagé pour animer une soirée mondaine. Leurs amis avaient été épatés. Sa mort lui causait une grande tristesse. Elle ne comprenait qui qui pouvait en vouloir à un homme qui avait voué sa vie à la musique. Non, vraiment elle ne voyait pas qui aurait pu commettre un tel acte. Jourdan eut du mal à masquer sa perplexité devant une attitude aussi différente entre les époux. Cependant, il réussit à n’en rien laisser paraître.

- Si je peux me permettre, madame, pourquoi fréquentez-vous chez Bousca ?

- Pour l’ambiance, inspecteur.

Ce fut la seule réponse concordante qu’il obtint entre les deux conjoints.

- On dit que Baptiste était bel homme. Qu’en pensez-vous, madame ?

Véronique rougit légèrement

- C’est vrai qu’il n’était pas dépourvu de charme.

- Et qui plus est, qu’il collectionnait les aventures féminines.

- Oui, c’est de notoriété publique.

- Il ne vous a jamais fait d’avances ?

- Si mais…

- Vous les avez repoussées ?

- Je suis fidèle à mon mari.

- Certaines de vos amies ont succombé ?

Jourdan s’attira une réponse sèche.

- Je n’ai pas à répondre à cette question, inspecteur. Elle est inconvenante.

- Libre à vous, madame. Toutefois, il y a eu mort d’homme et dans ces cas-là, toutes les questions doivent trouver une réponse.

- Ne vous fâchez pas, inspecteur. Voulez-vous une tasse de thé ?

Jourdan ne résista pas à proposition, tant le parfum du jasmin l’avait enivré.

- Comprenez qu’il me soit difficile de ruiner la réputation d’honnêtes femmes à cause d’un léger moment de faiblesse.

- Je comprends vos scrupules, madame. Néanmoins, si certaines se précisaient, je me verrais obligé de me montrer plus insistant.

L’inspecteur prit le temps de terminer son thé et salua cordialement Véronique Cordier. Une fois dans la rue, il tenta de faire le point de ces conversations. De toute évidence, le mari mentait, par simple souci de sauvegarder sa réputation ?


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