Chroniques de l’ordinaire bordelais. Épisode 38

Lo crὀt

J’ai un crót. Impossible de traduire dans une langue aussi pauvre que le français. Définition : endroit où se trouvent les cèpes. J’ai mis des années à le trouver. Non que je n’y allais pas mais mes visites ne donnaient pas grand chose jusqu’au jour où un cèpe m’a indiqué qu’il fallait s’écarter du sentier  où je passais, aller quelques mètres plus loin. Depuis, à la saison, je les ramasse par kilos.

C’est que je suis le seul à y aller. Non loin de là, ils défilent par dizaines, écrasent les fougères, retournent la terre, piétinent les endroits où poussent les champignons, réduisent cet espace à l’état de pelouse.

Mais ce que je supporte encore le moins, c’est d’entrer en concurrence en ce lieu que je me suis symboliquement approprié.

Mais il y a une autre difficulté, écrire sur le sujet. Ne vais-je pas malencontreusement donner quelque indication qui conduirait un habile lecteur à mon crót ?

Pourtant, l’année dernière, j’y avais croisé une personne sans fusil. Elle ne semble pas y être revenue. Cette année, j’y ai trouvé la douille d’une cartouche, plomb 8, un bécassier. J’installe donc des pièges qui me signalent si quelqu’un est passé. Aujourd’hui, ils étaient tous détruits mais j’ai quand même trouvé beaucoup de cèpes. C’était donc un chasseur qui, non seulement a tous les droits selon les normes locales, mais me laisse les champignons, moi qui sans chien ne cherche pas à lui attraper ses bécasses.

B. Traimond