"Vous venez d'avoir 18 ans. Vous avez décidé d'en finir avec la vie. Votre décision semble irrévocable. Vous décidez dans un dernier élan de livrer les raisons de votre geste. En dressant votre autoportrait, vous décrivez tout le dégoût que vous avez de vous-même. Votre texte retracera quelques événements de votre vie à l'origine de votre sentiment."
L’énoncé projectif sur l’âge révèle une méconnaissance de la problématique adolescente à moins qu’il ne cherche à s’épargner une crainte sous-jacente de responsabilité: faut-il être majeur pour penser au suicide? Deuxième cause de mortalité chez les 15-25 ans après les accidents de la route et avant l’absorption de substances psycho-actives, le suicide demeure une problématique essentielle du cataclysme pubertaire.
Dans ce qui ressemble fort à une expérimentation pseudo-cathartique et ce, accomplie au nom d’une "liberté de penser et d’expression" certes légitime au sein de l’Éducation nationale, force est de s’interroger sur ce que cet enseignant "répare de lui-même" dans l’élaboration négative de cet exercice. Ce professeur a ignoré trois réflexions fondamentales issues des travaux sur l’inconscient: la haine précède l’amour dans l’édification de la psyché humaine en raison, pour simplifier, de la séparation initiale d’avec l’objet aimé. Malgré les apparents bienfaits d'une élévation phylogénétique, la sublimation reste ensuite l’alliée, selon Freud, des forces de mort par le sacrifice "exorbitant" qu’elle réclame et la désintrication pulsionnelle qu’elle suscite. Enfin, le suicide ou la tentative de suicide ne signifie pas toujours le désir de mourir puisqu’il faut bien à l’individu cette ultime puissance, froide et "irrévocable", du "moi" vivant pour en finir. Contradiction avec le texte: le sujet humain encore capable de "décrire son dégoût de lui-même" n’a pas encore complètement sombré dans Thanatos. Le fait "volontaire" de mettre un terme à sa vie – ce que l’énoncé mentionne à deux reprises au travers de l’usage du mot "décider" qu’il serait instructif d’expliciter – plonge ses racines dans l’histoire inconsciente, familiale et environnementale, du sujet. Le suicide est l’aboutissement d’un cheminement parfois ignoré de l’être humain et qui débute par une lente dépression, s’aggrave avec une inexorable mélancolie pour finalement étayer le passage à l’acte sur une circonstance plus ou moins signifiante: un seau d’eau qui se remplit goutte à goutte sur plusieurs années jusqu’au phénomène déclenchant le débordement, lato et stricto sensu, de l’être par sa souffrance accumulée.
Sans dialogue ni échange, sans cette verbalisation au préalable nécessaire pour désamorcer les risques d’introjection de ce "mauvais objet", ce qu’a, semble-t-il, "refusé" l’enseignant – "c’est comme cela" leur a-t-il répondu suggérant un déni, voire une abolition de leur raison – le surgissement abrupt de cette thématique dont témoigne "l’étonnement des collégiens", comporte le péril de les faire puiser dans leurs pulsions mortifères enfouies, pulsions qui à cet âge sont réactivées, réinvesties par le sexuel: un principe actif perçu comme invasif et contre lequel l’adolescent va rechercher des conduites à risques homo (contre lui-même) et hétéro (contre les autres) agressives.
Sous couvert des risques "psychosociaux" dans le monde du travail, ces sujets – stress, mal-être, suicide – sont traités avec les étudiants en "Projet Personnel et Professionnel" à l’IUT de Nice. Un luxe de précisions oratoires et d’explications psychanalytiques pour nommer "un chat un chat", les accompagne tant l’attention soutenue qui règne pendant ces séminaires démontre la sensibilité particulière du propos. Et nous rappelle ceci: la pulsion ne renonce jamais. Elle nous "presse, indomptée, toujours en avant" et fait de nous, comme l’évoque Schopenhauer, un mendiant à peine satisfait par l’aumône d’un jour mais qui le rend encore plus affamé le lendemain. Des collégiens requis par leur professeur de français peuvent-ils, sans danger pour leur psyché...