22 décembre 2002
Budapest, quatrième jour. Le 18 et le 19, foule compacte, j’étais à demi évanoui, serré dans un coin, j’ai dédicacé des montagnes de livres, les gens parlaient, je sentais leur haleine sur mon visage, ils ne m’ont pas laissé dîner, je n’ai même pas pu avoir un verre d’eau. Voilà ce qu’on appelle affection et popularité. Rouge de colère, Magdi m’a traîné vers la sortie. — Hier, lecture de la première partie du roman ; sentiment de triomphe. Je me demande comment je vais pouvoir organiser ma solitude créatrice. (Tiens, même ma langue n’est pas la mienne — ai-je jamais écrit des mots comme “solitude créatrice” ?) La visite de Judit à Auschwitz. J’ai inventé cet épisode important au milieu de la cohue, de ma fatigue immense, aveuglante. — Dans deux jours, nous partons pour l’île de Madère, avec une quantité infinie de livres et mon ordinateur.
Une ou deux questions se posent, concernant ma valeur en tant qu’écrivain, à savoir l’absurdité du fait que, d’un coup, mes livres sont vendus à des centaines de milliers d’exemplaires. Qu’est-ce que cela change ? Question inutile, je crois ; je ne veux pas me voir dans le regard des autres. Je dois me démarquer de l’image de Kertész qui circule dans le monde. (Je ne suis toujours pas habitué à entendre mon nom ; je ressens toujours de la peur quand il est prononcé.) — Absurdités politiques ; mon nom est devenu une marque déposée qu’ils utilisent comme une hallebarde pour s’entretuer, le couvrant de saleté. Tout abandonner, partir, retourner à Berlin, travailler.
Imre Kertész, Sauvegarde, Journal 2001-2003, Actes Sud, 2012, pp. 183-184. Traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba.
IMRE KERTÉSZ
Source
■ Imre Kertész
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→ 9 novembre 1929 | Naissance d’Imre Kertész
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