- Tu ne trouves pas que les sites de rencontre favorisent une professionnalisation des rapports personnels? Par exemple, c’est par la lecture de nos CV respectifs que nous avons eu envie de nous rencontrer, non? Et après quelques échanges de mails, pour valider le sérieux de notre candidature, nous sommes plus ou moins en train de passer une interview. Chacun des deux côtés évalue ce que pourra lui apporter l’autre et s’il fera l’affaire, son affaire du moins.
Je suis surprise, il m’interrompt et relance parfaitement la balle:
- Tout est question ensuite de savoir ce qui signifie l’affaire. C’est là que se glissent tous les malentendus…
- …et les possibilités.
C’est comme si j’avais trouvé un compagnon de jeu. J’en deviens audacieuse, quitte à me brûler les ailes:
- Tiens, tu sais ce qui m’a plu en toi? C’est que tu n’avais pas l’ombre d’un défaut. Ton éducation, tes activités, ta présentation. Tu semblais tout bien faire. C’était louche, c’est pourquoi j’ai voulu te rencontrer. Pour comprendre ce que tu cachais vraiment.
Il se tait, spectateur, il sirote son verre de vin argentin. Je le vois déjà dans trente ans. Il n’est pas vraiment beau. Son nez est peu grand. Son menton témoigne d’une tendance à s’empâter. Son regard est franc, intelligent. Interrogateur. C’est pire. Il a du charme. Il me laisse aller jusqu’au bout de mon idée, jusqu’à la fin de mon numéro de cirque. Je suis allée trop loin, je m’accroche comme je peux aux branches.
- Si on simulait un entretien d’embauche ? Tu sais, on pourrait se poser ce genre de question: quel est votre plus gros défaut? Ou donnez-nous trois de vos principales qualités.
- Tu es sûre, Frances? Je n’ai rien préparé, je risque de dire vrai.
Il prononce mon prénom. Je fonds de plaisir comme s’il me faisait sienne.
- Tant mieux. Essayons. Si on se disait par exemple un secret jamais encore avoué ? Un secret compromettant si possible.
Le serveur vient nous interrompre pour la commande de nos desserts. Phil prend une mousse au chocolat, moi un rice pudding. Je ne suis plus très sûre de moi. C’est alors qu’il me dit :