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Bienvenue à Oakland (E. M. Williamson)

Publié le 02 janvier 2013 par Despasperdus

« Bref, j'en avais assez vu pour savoir que je comptais pour des prunes. D'un côté, bizarrement, cela me soulageait. Ouais. Savoir que je ne faisais pas un pet de différence et que j'aurais beau faire, tenter ou accomplir tout ce que je voudrais, de toute façon, j'étais de la baise, comme tous ceux qui m'entouraient. Le fait de le savoir avait tendance à me libérer de mon ange démoniaque, cet ange égoïste, narcissique, pitoyable,, égoïste, ridicule, vénérable, ce gros dur franchement lamentable que j'étais déjà ou m'apprêtais à devenir. Un jour, j'irais à la fac, je me paierais une éducation, j'apprendrais des conneries de riches et j'utiliserais cette connaissance contre eux, je les écraserais de leurs propres conneries, je les enterrerais sous le savoir issu de leurs propres recherches et de leur propre expérience, sans oublier d'ajouter à mes ingrédients personnels, Oakland style. Quand l'heure de la révolution sonnerait, je serais au front, sur les barricades, avec un lance-flammes et une massue dans les pattes, le visage défiguré par la sincérité. »

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Pour les habitué-e-s du blog, Eric Miles Williamson n'est pas un inconnu. Nous retrouvons T-Bird qui décrivait dans Gris-Oakland son enfance.

« Nous qui vivons dans la laideur, on connait la beauté - et elle n'a rien à voir avec qu'on trouve dans les magasins branchés des salles d'attente des toubibs ou des avocats spécialisés dans les divorces. »

E. M. Williamson évoque sa passion du jazz et de la littérature, son incroyable appétit de lecture, et surtout sa raison d'écrire et sa filiation littéraire :

« Ce dont on a besoin, c'est une littérature imparfaite, d'une littérature qui ne tente pas de donner de l'ordre au chaos de l'existence, mais qui, au lieu de cela, essaie de représenter ce chaos en se servant du chaos, une littérature qui hurle à l'anarchie, apporte de l'anarchie, qui encourage, nourrit et révèle la folie qu'est véritablement l'existence quand nos parents ne nous ont pas légué de compte épargne, quand on n'a pas d'assurance retraite, quand les jugements de divorce rétament le pauvre couillon qui n'avait pas de quoi se payer une bonne équipe d'avocats, une littérature qui dévoile la vie de ceux qui se font écrabouiller et détruire, ceux qui sont vraiement désespérés et, par conséquent, vraiment vivants, en harmonie avec le monde, les nerfs à vif et à deux doigts de péter un câble (...). »

Le narrateur est terré dans un garage pour échapper à la police. Il raconte sa vie dans sa ville, Oakland, au milieu des siens, les sans-grades, les soiffards, les travailleurs déclassés ou non, les amis qui deviennent dingos, les femmes, les divorces, les marginaux... et des histoires incroyables comme celle de cet entrepreneur qui exploitait T-Bird pour tondre sa pelouse et qui verra sa maison partir en fumée après un étrange concours de circonstances...

« Bon, jusqu'à maintenant, on s'est toujours conduits comme des abrutis : chaque fois qu'on fait une émeute, on se choure des trucs entre pauvres et on se met sur la gueule. Mais attention, un beau jour, un putain de beau jour, une vraie bonne émeute éclatera, une guerre des classes au lieu de cette guerre des races, et ce jour-là on les foutra en l'air, ces enculés. On fera crâmer leurs baraques, on fera cramer leurs banques et cramer leurs bagnoles de luxe, et ils auront beau être couverts par les assurances, ils apprendront au moins que, malgré les flics et leurs alrmes, malgré leurs projecteurs automatiques à détecteurs de mouvements, leurs dobermans et leurs lois de merdre, et même si au final, ils sont protégés contre presque-tout, y compris la mort (...) au moins ils comprendront qu'ils ne sont pas invulnérables et qu'ils sont mortels. Comme nous. »

Un roman plein de vie et de rage, bien loin du rêve américain, à l'humour très noir pour commencer l'année.


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