Donc le temps est venu de les rassembler, tous les autres,
Tous ceux que j'ai perdus dans les coins obscurs de ma vie
Ou qui d'eux-mêmes détachant leur ombre de mon ombre
Attendent là butés sans comprendre ce qu'ils attendent
Contre un mur au fond d'une chambre où nul ne les saura.
Me voici devenu plus trouble qu'eux, bien trop étroit
Pour me diviser de nouveau; si faible,
Que remonter le flot qui s'étale, je ne peux pas.
Il faut pourtant les retrouver l'un après l'autre
Et les convaincre avec des mots précipités presque inaudibles
De me suivre: en bas au tournant je leur dirai pourquoi.
Mais le plus proche se détourne et ne veut pas m'entendre;
Il a peut-être peur de moi, peut-être tous les autres,
Sauf le plus lointain qui sourit, qui ne me connaît pas,
Et ses yeux d'espérance et d'oubli déjà m'effacent.
Jacques Réda, La tourne, 1975.