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Il est rare que je lise des livres par hasard. Je sais toujours vers qui me tourner dans les rayons de la librairie : auteurs fétiches, livres mis en avant dans les magazines et certains sites, rattrapage de classiques, évocation de souvenirs…
Un héros de Félicité Herzog fait partie de la 4èmecatégorie. Lorsque j’étais petite, je me souviens que voir les doigts amputés et congelés (oui, oui, bel et bien gelés, congelés, dur comme de la pierre) m’avait beaucoup marquée. On y voit Maurice Herzog, « vainqueur » du premier sommet à plus de 8000 de l’Himalaya et ses compagnons le 3 juin 1950, redescendre et présenter leurs blessures aux photographes de Paris Match et cameramen.
Puis on grandit.
On vous en parle à l’époque, comme on évoque le souvenir de Jeanne d’Arc, Jean Moulin, et Napoléon, car Maurice Herzog est un héros national qui avait pour mission, au-delà de réussir cet exploit de l’alpinisme avec son camarade de cordée, Louis Lachenal, de redonner confiance dans un pays sur les genoux après la Deuxième Guerre Mondiale.
Puis il meurt, le vendredi 13 décembre 2012.
Comme pour beaucoup, cette image historique, mythique, dont on sait qu’elle reste ancrée dans notre rétine, m’est incomplète et savoir que la fille du héros, Félicité Herzog suggère que son père n’est pas allé tout à fait au sommet, m’a trop intrigué. Je me suis jeté sur le livre, que j’ai lu rapidement.
D’abord, il y a un style, que je qualifierais de presque poétique. L’auteur semble user et abuser avec beaucoup d’habilité de figures de style et enveloppe de pudeur un texte dans lequel on comprend vite que le héros n’est pas Maurice Herzog, mais bien Laurent Herzog, fils ainé de l’alpiniste, grand frère de Félicité. C’est à lui qu’elle rend hommage dans ce livre de 300 pages où l’on apprend que venir d’une grande famille d’industriels français est un poids pour la mère de celle-ci, où l’on apprend que l’on peut y devenir fou (Laurent est atteint de schizophrénie et se suicidera, incapable d’atteindre le mythe de son père, selon sa sœur), où l’on apprend que ce père n’en est pas un. Comme l’auteur le dit elle-même : « Mon père est un hémiplégique de la sensibilité ». L’anecdote qu’elle raconte sur les photos qu’il prend d’elle, nue, sur une terrasse démontre qu’il n’a pas su ou pu donner la protection d’un père ou simplement un amour paternel. Dans la séduction, Maurice Herzog semble être toujours et les accès de folie de son fils sont au moins aussi violents que les absences du père.
Tout cela n’est pas un lavage de linge sale en famille. C’est une histoire de famille, avec un héros dedans. Mais le héros d’une famille n’est jamais le même pour tous ses membres.
Beau, pudique et d’une brutalité réelle, Un héros de Félicité Herzog est un récit qui laisse un arrière-goût de violence (l’absence d’amour du père, l’indépendance frustrée de la mère), de sang dans la bouche (les deux frères et sœurs se battent régulièrement) et de malaise. Plombé par ce suicide, mort facile et lâche au regard d’une ascension dans l’Himalaya où l’on sait que peutmourir, Un héros donne un sentiment d’inachevé. Il faut en savoir maintenant. Peut-être lire le livre de Maurice Herzog lui-même (Annapurna premier 8000).