Magazine Journal intime

Ll2t 14

Publié le 06 avril 2008 par Thywanek
C’est un matin avant lequel il n’y en a pas d’autres. D’ailleurs la cité n’osait plus avoir existé. Les chiens cherchaient pour se cacher les derniers coins où l’ombre attachait les amarres du vaisseau noctambule.
Les habitants sont rhabillés de pierre, de béton, de verre, de bois, de tôle, de ciment, laissant le champ hirsute traversé par le fleuve comme la bogue vide d’un fruit épineux.
Serré dans les épaules d’un manteau épais, ouvert sur la balance de ses hanches étroites, le seul à paraitre en son vivant, et qu’en savoir, vient encore de naître.
Nous avons souvent été là avant ce lever. Brassant dans les airs denses et lourds des perditions trempées d’alcool. Il ne lève plus les bras. Il va et devine.
Il a un mal d’horreur à rejoindre là-bas, le bord à la coupée de l’horizon, et, parvenu aux abords de la grande porte, son cœur cèderait.
Il ne La voit pas dans sa robe noire où le mauve témoigne du sang dans l’obscur. Appuyée langoureusement à un pilier du porche monumental Elle attend.
Spectre numérisé d’une beauté dont la peau se tend en fragiles membranes sur un corps sans viscères. Des trous de ses yeux Elle le mate.
L’accompagnera-t-Elle s’il passe cette porte ? Ou l’embûche-t-elle en faux ? Et qui guette près de là, la tête engoncée dans un col ?
Le Guetteur s’approche d’Elle en train de regarder, sous la grande arche, celui qui tremble vers la première pique du jour perçant très doucement l’outre nocturne.
Il lui dit : «Qu’est ce que tu regardes comme ça ?» Elle répond : «La même chose que toi.» Il lui dit : «Pas pour les même raisons.» Elle sourit et répond : «Peut-être … peut-être …»
Sous le grand portique, frêle silhouette isolée, celui qui vient ne les voit pas. Et ce n’est qu’en contemplant au loin ce qu’il prend pour un avorton de lumière qui vagit au loin, qu’il frémit.
Elle dit au Guetteur : «Tu le connais ?» Il répond : «Autant que toi» Elle sourit : «Autant que tu me connais ?» Il dit : «Autant que tu le connais.»
« Autant que tu le sais, multiple solitaire,
Unité de sa chair élevée par la grâce,
Et qu’ainsi tu peux suivre partout sur la terre,
Sans en perdre jamais l’intelligente trace. »
Elle pose tendrement sa main sur l’épaule du Guetteur. Elle lui chuchote à l’oreille : «Et tu as peur de quoi ? Moi qui ne t’ai jamais touché …» Il dit : «Lui c’est différent. Laisse-le.»
«Je sais tes tentations pour combler les laideurs
Dont toutes les horreurs humaines te nourrissent,
Tous tes abominables besoins de langueurs
Sur le flanc des beautés, pour qu’elles compatissent.»
Elle dit : «Justement, je l’imagine d’une si belle compassion celui-là.» Elle sent le Guetteur lui prendre une main ente les siennes. Il dit : «Je te comprends, tu sais. Mais nous avons tellement besoin de lui.» Elle le regarde : «Et je devrais faire comme pour toi ? Attendre sa vieillesse ?»
« Bien sur j’en ai déjà, printemps interrompus
Hurlants ou silencieux, selon les désespoirs.
Mais j’en aimerais un que son destin rompu
N’ait pas rendu aveugle et que je puisse voir. »
Il caresse la main qu’il tient dans les siennes : «Que veux-tu voir de plus. Tu sais tous les vergers. Tous les amours qui naissent. Tu sais tous les bonheurs et sur nos épouvantes qu’est-ce qui t’intéresse ?» Elle dit : «Je voudrais comprendre.»
«Comprendre dans ton cœur tout ce que tu ressens
Toi qui n’a rien perdu des âges traversés,
Et qui plane au dessus des affres indécents
Comme un moine sans dieu à l’âme renversée.»
Elle penche sur l’épaule du Guetteur son visage émacié. Elle dit : «Je t’envie les pouvoirs de ton cœur éperdu.» Il répond : «Je préfère en souffrir que de moins exister.» Elle dit : «Tu es si vivant, c’est vrai. Tu serais pour moi un inoubliable festin.» Le Guetteur serre ce visage contre lui. Il dit : «Lui, il est encore plus vivant que moi. Et il ne t’ignore pas. Mais laisse-le.»
«Laisse le jour lui revenir infiniment,
Et l’incommensurable l’étourdir aussi.
Oui laisse-le tendre ses mains fiévreusement,
Au monde inaccessible qui nous manque ici.»
Il dit encore : «Le jour enfle là-bas. Vois comme déjà le touchent ses lueurs chétives. Comme ses yeux y boivent. Comme en l’humant il s’allège de l’air. Comme en rêvant il reconstruit le monde. Comme il interroge le temps encore muet. Et comme il porte déjà sienne, pourtant, puits de diamants noirs, la profonde douleur dont il est l’antidote.»
L’anse de l’aurore soulève des provisions de lumière qui s’orangent diffusément. Sous le grand arceaux de pierre dont l’ombre commence à rentrer dans la cité s’éclaire le visage de celui qui se tient juste dessous.
Une fluide rumeur a rampé jusque sous ses pieds. Il n’a rien entendu de ce qui s’est échangé tout près dans l’obscurité. A peine a-t-il perçu une évaporation de particules qui a fini par se mêler, impalpable semée de poussière scintillante, aux premiers rayons du lever.
Elle dit au Guetteur : «Emmène-moi boire un Bloody Mary.» Il ne répond pas. Il surveille la clarté monter devant celui qui est sous la grande porte. Elle dit : «T’inquiète pas. Allez, emmène-moi. J’ai soif.»
Sur les premières façades de la cité l’aube efface la nuit. Celui qui est à l’entrée du soleil s’avance alors, pas à pas, lentement. Il se débarrasse de son manteau qu’il laisse tomber derrière lui.
Elle dit au Guetteur : «Tu va voir. Il n’y a pas de précipice. Seulement celui qu’il croira, et juste parce qu’il le faut.» Il dit : «Et il n’y en aura pas.» Elle dit : «Non. Toi tu commences à le savoir. Les jours qui viennent au fur et à mesure que tu les vis.»
Il s’avance. Sans voir devant lui. Et l’horizon qui semblait coupé se révèle sous ses pas. La rumeur urbaine sourdait du désensommeillement de la cité. C’était un matin avant lequel les autres réapparaissaient.
Le Guetteur dit : «Oui. C’est ça. Tout ce dont on est si sur que ça ne peut arriver que pas à pas.» Elle dit : «Savoir tout ignorer. Sauf ce dont on a réussi à se faire soi. Son propre corps. Son âme. Son amour.»
Et l’horizon qui semblait arrêté renaît sous ses pas. Avant que le doute revienne, il sera de nouveau plus loin.
Elle dit : «Tu me le payes ce verre ?» Le Guetteur répond : «Oui.» Il regarde la mince silhouette grandir en s’éloignant. Il dit : «Juste un verre. Parce que …» Elle l’interrompt : «Oui. J’ai compris tu sais... Juste un verre.»
«L’horizon qui semblait ne plus vouloir s’étendre
Ressortait de la ville et des cœurs qui s’emmurent,
Rendant à ce qui trop tôt s’éteint sans attendre
Cet élégant instinct du passager qui dure.»
Est-ce une illusion d’optique : là-bas, on dirait qu’il joue à quelques chose : comme quelqu’un qui saute à la marelle.
Elle dit : «On y va ?»
Il répondit : «Ok. On y va.»

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