Ce que danser voulait dire

Publié le 14 janvier 2013 par Nicolas Esse @nicolasesse

« De nos jours, quand je glisse ma tête à l’intérieur d’une discothèque ou d’un night-club fréquenté par des jeunes gens, je suis frappé par le contraste qui existe entre l’érotisme de l’environnement – l’éclairage faible et équivoque, la pulsation orgasmique de la musique, la provocation des tenues moulantes – et l’appauvrissement tactile qui résulte de la manière actuelle de danser. Je suppose que les jeunes ont ensuite à leur disposition une telle abondance de contacts physiques qu’ils n’éprouvent pas le besoin de se toucher sur la piste de danse, alors que pour nous, c’était exactement le contraire. Ce que danser signifiait en ce temps-là, et même dans le cadre d’une très catholique Maison des Jeunes, c’est que vous aviez la permission de tenir une fille dans vos bras en public, peut-être même une fille que vous n’aviez jamais rencontrée avant de l’inviter à danser, sentir ses cuisses qui frôlaient les vôtres sous le froissement de son jupon, sentir la chaleur de ses seins contre votre poitrine, inhaler le parfum déposé derrière ses oreilles ou l’odeur de shampoing de ses cheveux fraîchement lavés qui chatouillent vos joues. Bien sûr, vous deviez prétendre que tout ça était sans importance, vous deviez continuer à parler de la météo, de la musique ou de n’importe quoi tout en guidant votre partenaire sur le parquet, mais l’étendue de l’autorisation délivrée pour éprouver des sensations physiques était considérable.
Imaginez un cocktail où tous les invités se masturbent tout en continuant à déguster de petites gorgées de vin blanc et à discuter des derniers livres parus ou des dernières pièces de théâtre, et vous aurez une assez bonne idée de ce que représentait la danse pour les adolescents du début des années cinquante. »

David Lodge, Thérapie, 1995
Et une très jolie lecture de Guillaume Gallienne que vous trouverez ici