Je marcherai dans ma Prairie

Enfant, je rêvais tellement fort de l’Amérique, du Far West, de la Prairie que j’étais capable de convoquer leurs merveilles et de les voir, littéralement, transplantées dans le paysage familier de mon pays natal.  Il y avait (il y a toujours, Dieu merci ), en toile de fond, une majestueuse et puissante montagne,  bleue et coiffée de neige une bonne partie de l’année, visible de partout,  qui semblait attendre que se décidât à se mettre en route dans sa direction une caravane de chariots bâchés.  Tout autour d’elle, fermant l’horizon  de la plaine, s’étendait une chaîne ininterrompue de montagnes vassales .  Une grande échancrure s’ouvrait entre le mont principal et ces dernières, qui laissait apercevoir dans le lointain d’autres sommets encore,  hardies sentinelles d’une frontière mystérieuse. 

 Je ne voyageais pas,  ma famille étant très sédentaire et ce ne fut que bien plus tard, à l’âge de dix-huit ans, que je découvris avec émerveillement ce qu’il y avait au-delà de cette première frontière.  Je partis camper avec un ami au Pla de Barrès,  aux confins du Haut-Conflent et de la Cerdagne.  Nous y passâmes une semaine, au bord  d’un méandre de la Têt, sous les pins à crochets et les épicéas,  face à la montagne éventrée du Cambre d’Aze.  J’étais comme fou .  Je vivais un rêve.  Celui de l’Amérique, car ce paysage pyrénéen, ces grands espaces, ces grandes forêts  me transportaient déjà au Canada ou au pied des Rocheuses du Colorado ou du Wyoming.  J’avais déjà la vocation de l’Ouest, nourrie des  westerns et des livres plus ou moins illustrés,  mais je sentis alors qu’au Pla de Barrès je recevais une grâce et pour ainsi dire, une promesse.  Oui, j’irais un jour là-bas.  Je marcherais dans ma Prairie.