Sans doute le premier grands choc de ma jeunesse bédéphilique... Encore un album dégotté chez mon cousin qui l'avait emprunté à la bibliothèque. Je l‘ai lu un soir de dîner de famille où je me faisais chier. J'étais le cadet de loin de tous mes cousins et cousines, qui, jeunes ados, n'en avaient rien à carrer du petit mioche.
Sammy, de Beck et Cauvin
Je fus d’abord surpris par ces premières pages qui n’étaient pas de la bande dessinée, mais plutôt un dossier attribué à l’un des personnages. D’un coup, la bande dessinée sortait de son cadre de cases et de planches pour devenir difficile.La deuxième surprise fut causée par un dessin étrangement tordu, loin des rondeurs rassurantes d’un Sammy. Thierry Groensteen définit le style d'Andreas comme utilisant des postures mélodramatiques (je ne me rappelle plus de l'expression exacte) pour insister sur les postures parfois excessives qu'utilisent Andreas pour mieux exprimer l'état d'esprit de ses personnages.Et que dire de cette histoire que je ne comprenais pas vraiment. Surtout qu'il se passait des trucs bizarres dans la succession des cases. Ce n'était pas linéaire, comme j'en avais l'habitude. La mise en page n’était pas un simple gaufrier, et osait des proportions étranges, de longues cases comme des lames de couteaux, et même des pleines pages, que je n’avais encore jamais vu. La bande dessinée, c’était donc autre chose que les Tuniques Bleues et Astérix ?Cette vision de cathédrales perdues en plein coeur de la forêt amazonienne allait me hanter longtemps.
J'ai dû le relire deux ou trois fois d'affilée, en revenant régulièrement en arrière. Et, progressivement, j'y voyai plus clair. Ce n'était clairement pas de mon âge (10 ou 12 ans maximum), mais je sentais qu'il se passait quelque chose.Des années plus tard, je commençai à piller une bibliothèque assez riche en bandes dessinées et je découvris la genèse de Rork, ainsi que quelques tomes de la suite. Il me semble que les tomes 4 et 7 manquaient. J’adorai ces histoires et finis par les acheter. Dans un réflexe compulsif lors de ma période d’intoxication bédéphilique, j’achetai même les rééditions. Je voulais toutes les éditions (qui différaient principalement par une couverture moins réussie et un papier glacé). Lors d’un passage aux USA, j’achetai même un double album en noir et blanc qui reprend le cimetière de cathédraleset Lumière d’étoile, traduits par JM Lofficier. Je me contente désormais des éditions d’origines (j’ignore s’il s’agit d’EO, et je m’en fous). Les autres sont relégués au grenier.
Rorkfit son apparition pour la première fois dans les pages du journal de Tintin en 1978. Il est présenté au départ comme un sorcier aux cheveux blancs (un héros de plus à présenter cette particularité capillaire après Bernard Prince et Bruno Brazil). Il vit de courtes histoires indépendantes, sous influence lovecraftienne pour l’ambiance et de Bernie Wrightson pour le dessin. Autrement dit, à mille lieues des héros habituels du journal.
Une illustration de Bernie Wrightson pour Frankenstein
On m’a d’ailleurs raconté qu’à l’époque, Andreas se retrouvait toujours hors des 50 premières places du référendum annuel sur les auteurs et héros du journal. Pour l'anecdote, on m'a également raconté qu’un auteur et sa femme truquaient les résultaient en envoyant eux-mêmes de nombreux formulaires lui étant favorables, tandis que sa femme écrivait de fausses lettres de fans pour faire mousser son artiste de mari (je ne suis pas sûr de la véracité, je ne donne pas le nom pour éviter les mauvais procès :o)). Au début, ces courts récits nétaient pas prévus pour être repris en album, mais le Lombard lui demanda rapidement d'inclure un fil conducteur en vue d'une éventuelle publication en album. Andreas s'exécuta, mais l'ensemble sera toujours un peu bancal. Andreas mit un terme à la saga de Rork en 1982, devant le peu d'intérêt du Lombard. A quelques mois de la fin du contrat le liant à l'editeur, ce dernier publia enfin Fragments et Passages) en 1984 dans la collection „Histoires et Légendes“. Entretemps, Andreas s'était consacré à d’autres projets, dont Cromwell Stone, qui évoque l’univers de Rork par de nombreux aspects (avant de s’y rattacher de manière quasi directe avec "le testament de Cromwell Stone"), le diptyque Cyrus-Mil et Fantalia.En 1988, Le Lombard, surpris par des ventes supérieures à leurs attentes, demanda à Andreas de relancer Rork. Il décida de faire l'impasse sur un court récit qu’il avait publié dans Tintin qui ressuscitait Rork une première fois pour entamer cette nouvelle histoire qui s’étendra sur 5 tomes. Malheureusement, face à la complexité croissante de son intrigue, Andreas voulut soit ajouter un sixième tome à ce nouveau cycle, soit réaliser un album double pour clore l’histoire, ce qui fut refusé par l’éditeur. Le dernier album propose donc une conclusion frustrante.Il est à noter qu’Andreas y créera un personnage important pour la suite: l’aventurier et astrologue Capricorne, qui aura sa propre série une dizaine d’année plus tard. Andreas reste un des auteurs que je préfère dans la bande dessinée franco-belge. Il reste fondamentalement un auteur fidèle à la tradition franco belge. S’il expérimente, cela reste dans le cadre précis du format standard. Il reconnaît lui-même avoir besoin de contraintes pour se dépasser. Seules exceptions notables: Fantalia -les contraintes étaient d'un autre ordre- et Le Triangle Rouge.PS: Depuis de nombreuses années étaient annoncés une intégrale de Rork ainsi qu'un hypothétique Rork 0, sur lequel travaillait Andreas entre ses autres projets. Ces projets se concrétiseront enfin dans la seconde moitié de 2012.