La Compagnie des Argonautes, décembre 2012.
Note de lecture de Sylvie Fabre G.
Thαumα, « LA PATIENCE »
Le dixième numéro de la revue Thauma vient de paraître et les mots de Jean Malrieu, qui débutent la prose de la quatrième de couverture : « Pour maintenir, il faut tant de patience… et les années têtues n’attendent pas de récompense. Nous sommes de toute façon au-delà », donnent toute la mesure de l’entreprise d’Isabelle Raviolo qui en est la fondatrice et en reste l’âme patiente.
Marcher ensemble, comme le demande Malrieu, c’est aller vers la richesse sans cesse renouvelée de cette revue qui tient à l’alternance, dans chacun de ses numéros, et quel qu’en soit le thème, entre poèmes et proses, textes philosophiques et textes plus modestement réflexifs, voix d’ici et de maintenant et voix de tous les ailleurs dans l’espace et le temps, traductions et inédits de littérature classique ou d’extrême contemporain, façon de nous rendre une mémoire ancienne et une neuve curiosité, de faire dialoguer vivants et morts en un seul espace sensible et intellectuel. La variété des choix devient accueil et agrandissement, et le numéro « La Patience » en est une preuve, heureusement ponctuée des œuvres de Krochka, au maillage serré, à la trame dense ou légère, trouée ou effilochée comme l’écriture du monde et de l’être dont témoignent les textes.
Entrant en lecture, « on entre en patience » qui « a partie liée avec l’espérance, qui, elle aussi, s’ouvre à ce qui vient »1 et nous voilà sur la voie de la résonance, de l’appel et de la transmutation dont parlent Pierre Dhainaut interrogeant le Rituel de la patience dans l’écriture du poème, mais aussi Milton dans sa lettre à un ami2. La patience est d’abord une ouverture, et non seulement le fruit d’une volonté. « Elle a tout son temps » laissant alors le futur en suspens, et l’homme dans un « agir libre », une disponibilité. L’indétermination de l’avenir fait du présent une nouveauté et du futur une rencontre avec soi et l’Autre. Isabelle Raviolo, dans la méditation qui clôt le numéro dans une traversée interrogative et prospective, écrit : « Ainsi dans la patience, l’expérience du temps n’est-elle pas celle d’un cours uniforme, ni même celle d’un asile, mais s’apparente davantage à l’espace où se joue l’acte libre dans une intention qui vise à rapporter le temps à son principe, au présent qui l’origine : au commencement éternel… ». L’homme, proie du désir, du manque et de la mort, tour à tour agité, impatient3, révolté4, accablé ou compassionnel, se tourne parfois vers Dieu pour qu’il lui accorde cette patience qui souvent, comme le temps, semble lui faire défaut, et dont l’autre nom est peut-être consentement. « Étrange, étrange consentement »5, que l’on soit croyant ou athée, on attend obstinément « que revienne la vie couleur du large » 6 pour passer sur l’autre rive, « nautoniers d’un exil sans retour » 7.
Force de l’âme contre tous les maux engendrés par les passions et la finitude, certains auteurs, à la manière de Saint-Augustin, apparentent la patience à une vertu et la décrivent comme nécessaire pour accéder à la sagesse.
L’attente qui lui est liée est aussi celle de l’amour, qu’il soit divin ou humain, car en son centre se joue la même proximité et impossible saisie. « Seul l’amour sait attendre »8, jusque dans le sommeil ou le puits de l’oubli. « J’aime Attendre », comme le rappelle encore Fabio Scotto à l’amoureuse qui le délaisse. Sans doute « Tandis que le monde sans fin suit son cours/jamais dans le temps ni l’espace/Nous n’atteignons ce lieu de bonheur… »9.
Mais les occupations et les talents qui meuvent l’homme et l’amènent cependant à des formes d’accomplissement, et presque tous les textes dans leurs différents registres le soulignent, demandent des qualités dont le monde contemporain dans sa fébrilité médiatique et consumériste s’éloigne de plus en plus : concentration, calme, constance, maîtrise, lenteur, endurance, sérénité, silence, autant de mots que les poèmes ou les proses font neiger et fleurir comme Patience10 . La nature elle-même nous les murmure et sa contemplation nous rend à la promesse ardente de la vie où « toute chose a trouvé son centre. Et germe. » 11, car la patience qui a aussi à voir avec l’enfance, « est la chance d’un fruit mûr » 12.
Il faudrait ici pouvoir citer toutes les pistes qu’ouvrent les auteurs et parler des figures mythologiques, poétiques ou mystiques que les textes convoquent de Pénélope à Marie, de Bashô à Hallâj, et qui nous donnent chacune des éclairages sur la façon dont chaque écrivain ou chaque culture vit et pense la patience à travers les lieux, les âges et les genres. Mais cette note deviendrait trop longue et il ne me reste qu’à renvoyer le lecteur à la découverte de ce numéro de Thauma, « alcool et sucre essentiel »13 pour penser la patience.
Sylvie Fabre G.
D.R. Texte Sylvie Fabre G.
________________________________________________
1 Alain Cugno
2 Traduction et commentaire de Maxime Durisotti
3 Ahmet Soysal
4 « Job, quelle patience, », intéressante réflexion de Nicole Hatem
5 Françoise Clédat
6 Angèle Paoli
7 Gilles Baudry
8 Gabrielle Althen
9 Kathleen Raine
10 Salah Stétié
11 Thierry Metz cité par Isabelle Raviolo
12 Paul Valéry cité par C.H. Rocquet
13 Paul Claudel cité par Isabelle Raviolo
■ Voir | écouter aussi ▼
→ (sur Terres de femmes) Françoise Clédat | Du jour à personne (poème extrait de Thαumα n° 10)
Retour au répertoire du numéro de janvier 2013
Retour à l' index des auteurs