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Frédéric Beigbeder : Premier bilan après l’apocalypse

Publié le 11 janvier 2013 par Manouane @manouane
Frédéric Beigbeder : Premier bilan après l’apocalypse

J’aime bien les livres où il est question du livre en tant qu’objet et du livre en tant que lectures.

Le livre en tant qu’objet : Dans son introduction, Frédéric Beigdeber (99 francs, Dernier inventaire avant liquidation) s’insurge contre la possible disparition du livre papier, remplacé par l’insipide liseuse électronique – d’où l’idée de l’apocalypse. Il voue pour le livre papier une passion viscérale, plantée dans son être : « Je n’ai jamais écrit qu’en fantasmant sur l’objet final, sa taille, sa forme, son odeur. J’ai toujours eu besoin de visualiser la couverture, le titre, avec bien sûr mon nom en haut de l’affiche, en caractères gras » (p. 17). Il écrit, en guise d’introduction, quelques belles réflexions par rapport au livre de papier dont deux extraits sont reproduits plus bas.

Les livres en tant que lectures : L’auteur s’est fait plaisir. Après son Dernier inventaire avant liquidation, qui était une présentation des 50 livres du siècle choisis par les Français selon un sondage Le Monde / FNAC, il a voulu présenter sa liste personnelle de livres, les 100 ouvrages dont il recommande la lecture. Sa méthodologie? La voici :

 Mes 10 critères pour aimer un livre :

  1. Tronche de l’auteur (attitude ou manière de s’habiller)
  2. Drôlerie (un point par éclat de rire)
  3. Vie privée de l’auteur (par exemple, un bon point s’il s’est suicidé jeune)
  4. Émotion (un point par larme versée)
  5. Charme, grâce, mystère (quand tu te dis « oh la la comme c’est beau » sans être capable d’expliquer pourquoi)
  6. Présence d’aphorismes qui tuent, de paragraphes que j’ai eu envie de noter, voire de retenir par cœur (un point par citation produisant un effet sur les femmes)
  7. Concision (un point supplémentaire si le livre fait moins de 150 pages)
  8. Snobisme, arrogance (un bon point si l’auteur est un mythe obscur, deux s’il parle de gens que je ne connais pas, trois si l’Action se déroule dans des lieux où il est impossible d’entrer)
  9. Méchanceté, agacement, colère, éruptions cutanées (un point si j’ai ressenti l’envie de jeter le bouquin par la fenêtre)
  10. Érotisme, sensualité de la prose (un point en cas d’érection, deux en cas d’orgasme sans les mains)

Inutile de préciser qu’il s’agit non pas d’une série de livres savamment sélectionnés, mais bien d’une liste de livres coup de cœur (ou coup de pied au cul, c’est selon). Chacun des ouvrages est présenté, souvent d’une façon éclatée et très rafraîchissante, accompagné d’une brève biographie de l’auteur. Écrit avec un humour parfois caustique, souvent ironique, ce livre plaira à toute personne qui recherche certaines inspirations de lecture. S’agit-il d’un livre que à conserver? Probablement pas. Il peut faire l’objet d’un cadeau après lecture. Mais seulement après lecture. Et prenez des notes, ça vous évitera de devoir tenter de le retrouver si vous oubliez un livre ou un auteur.

Extrait :

« Autre apocalypse : la fin d’un beau geste. Pensez-vous franchement que l’acte de lire un livre en papier est le même que celui de cliquer sur un écran tactile? Lire un objet unique en tournant des pages réelles, c’est-à-dire en avançant dans l’intrigue PHYSIQUEMENT, n’a absolument rien de commun avec le geste de glisser son index sur une surface froide, même si Apple a eu la délicate attention de prévoir un bruitage de papier à chaque fois que le lecteur électronique change de page (détail qui, au passage, trahit le complexe d’infériorité des partisans du numérique). Si l’on se souvient que Julien Sorel prend la main de Madame de Rênal au premier tiers du Rouge et le Noir, c’est parce que l’objet de papier permettait de PROGRESSER vers cette apothéose. On l’avait presque VISUALISÉE en tournant chaque page du roman, pendant que Julien élaborait sa stratégie de séduction. Chaque roman de papier que j’ai lu reste gravé dans ma mémoire rétinienne. De même que son odeur! On respirait l’odeur du papier, avec réminiscences de bibliothèques municipales parfumées au linoléum, souvenirs olfactifs de la cire du parquet de la villa Navarre à Pau; l’odeur du papier faisait voyager dans l’espace-temps, vers le fauteuil en rêvant. Les fibres végétales composant la texture du papier, l’encre à peine sèche dégageait des effluves raffinés … Quelle odeur a le livre électronique? Celle du métal » (p. 18).

« Les pages lues sur papier étaient une conquête, lire c’était déchiffrer un univers, comme un explorateur ou un alpiniste du cerveau humain. La lecture sur papier était davantage qu’une distraction, c’était une victoire; je me souviens de ma fierté en refermant Splendeurs et misères des courtisanes ou Crimes et châtiment : ça y était, j’avais fini, je savais tout de Rastignac ou Raskolnikov, et je refermais leurs vies fictives sur mes genoux avec la satisfaction du devoir accompli. La liseuse électronique ne fait pas de nous des lecteurs qui avancent dans une œuvre, s’enfoncent dans un monde étranger pour s’évader du nôtre, mais des consommateurs blasés, automates dispersés, zappeurs impatients, cliqueurs distraits. Le risque d’A.D.D. (Attention Deficit Disorder), c’est-à-dire ce syndrome de déconcentration qui touche de plus en plus de victimes des ordinateurs, est démultiplié lorsqu’on lit sur une tablette qui reçoit des e-mails, des vidéos, des chansons, des chats, des posts, alertes, skypes, tweets, et des beeps et des blurps, sans compter les virus et pannes qui vous interrompent en plein monologue intérieur de Molly Bloom » (p. 19).


Frédéric Beigbeder
PREMIER BILAN APRÈS APOCALYPSE
Grasset, Paris, 2011, 429 pages


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