Magazine Journal intime

Contes pour Pythagore (1)

Publié le 07 avril 2008 par Stella

Parfois (souvent) je m’ennuie au travail. Surtout le lundi, durant l’interminable réunion qui commence à midi par un plateau repas (infect quoique signé d’un nom célèbre dans l’histoire des… jardins) pour ne s’achever que vers 18 heures. Voire plus tard. J’ai donc mis au point une jolie technique, qui consiste simplement à installer mon ordinateur portable devant moi et à écrire, comme si je prenais des notes attentives. En réalité, j’invente des histoires.

Il y a deux semaines, je me suis acheté un petit compagnon de bureau : il s’appelle Pythagore et c’est un poisson rouge. Après avoir passé une dizaine de jours au fond de son bocal dans une eau stagante d’assez mauvais aloi, il a retrouvé la forme lorsque je lui ai offert un petit appareil qui brasse la flotte façon piscine. Du coup, il est tout guilleret et s’amuse avec la plante verte dont j’ai agrémenté l’aquarium.

D’où le titre de ces histoires rédigées en réunion, qui m’a été suggéré par Josy, une amie.

C’est l’immeuble d’en face qui a été, la première fois, ma source d’inspiration.

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De loin…

Vous pouvez aller voir, cette maison n’a pas de porte. Elle est située rue de Lisbonne, dans le 8ème arrondissement de Paris. Haute façade noire et austère, moulures classiques sans grand relief, barreaux aux fenêtres du rez-de-chaussée, volets gris sales partout fermés bref, un immeuble bourgeois banal. Probablement vide. Sans porte. Des centaines de gens, de voitures, de vélos passent devant lui chaque jour, sans jamais le voir. J’en suis sûre : nul n’a remarqué qu’il n’y avait pas de porte.

 Je travaille en face. Dès mon arrivée, mes yeux ont été attirés par la longue série de fenêtres closes. J’imaginais les grandes pièces cachées derrière, plongées tout le jour dans une semi obscurité. Rapidement, je me suis attachée à ce vieux bâtiment. Il me semblait un vestige d’une splendeur passée, plus lointaine que mes souvenirs. Il datait du temps où beaucoup de Parisiens avaient les moyens de vivre dans des appartements immenses. Aujourd’hui, ce sont les bureaux qui ont récupéré et colonisé ces locaux.

 J’aime les choses vieilles et solitaires, elles m’émeuvent. L’absence de porte m’avait fait sourire et, quoique je suppose raisonnablement que cette dernière se trouvait dans la rue parallèle, l’étrangeté de la situation me réjouissait. Habiter dans une maison sans porte, n’est-ce pas une situation bien plaisante pour les amoureux de la tranquillité ?

 Quelques jours après mon arrivée, je quittai le bureau un peu tard. La nuit était tombée. Les travailleurs du soir s’identifiaient facilement par les fenêtres éclairées : femmes de ménage chargées de grands sacs poubelles noirs, cadres affairés qui ne comptent pas leurs heures, gardiens de nuits prenant nonchalamment leur service, tout un monde que les gens de la journée ne connaissent pas. Par amitié, je jetai un coup d’œil sur mon vieux bâtiment vide et là, ô surprise, je constatai qu’il y avait une belle série de fenêtres éclairées ! Sur toute l’étendue du 5ème étage, le long duquel courait un petit balcon, les pièces étaient baignées d’une lumière chatoyante.

 N’avez-vous jamais ressenti, en regardant de vieilles photographies, ce curieux mélange de nostalgie et de douceur né de la redécouverte d’un visage oublié ? C’est moins un souvenir qu’une réminiscence. Parfois, on ne met même plus de nom sur la personne, mais l’on se souvient de la journée ou de la soirée passée ensemble, des convives, de la musique ou des sensations que nous y avons eues.

 C’est exactement ce genre d’impression qui m’envahit lorsque je me figeai sur le trottoir, les yeux rivés sur ce lumineux miracle. D’en bas, on n’apercevait que des plafonds à moulures, éclairés a giorno par deux lustres de cristal. Se dessinaient deux vastes pièces en enfilade, un salon de réception probablement, suivi d’une salle à manger. Je laissais aller mes yeux indiscrets, tâchant de saisir une ombre, une silhouette. Pas âme qui vive. Je remarquai alors sur le rebord des fenêtres du rez-de-chaussée, bien protégés des mains maraudeuses par les fortes grilles en fer forgé, d’énormes bacs remplis de géraniums en pleine forme, d’un rouge profond. L’immeuble sans porte avait des habitants.

 Dans les jours qui suivirent, j’épiais avec constance 5ème étage et rez-de-chaussée. Rien ne bougeait jamais. L’affaire avait piqué ma curiosité, je décidai d’aller faire dès que possible une petite visite.


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