Magazine Journal intime

[danah a dit] travailler moins pour vivre plus ?

Publié le 07 avril 2008 par Tilly

On achève bien les blogueurs, ou les vingt-quatre heures du stress, sept jours sur sept

Cette fois ce n’est pas un article que je traduis  (dans la suite de cette note) mais un billet de danah boyd sur son blog apophenia. Bien sur il ne faudra pas perdre de vue que danah est une universitaire américaine particulièrement brillante et quelque part fort atypique (attention ne me faites pas dire que les universitaires américains brillants sont atypiques), mais je trouve que son interrogation existentielle personnelle est humainement pertinente et remarquablement exprimée,  c'est pourquoi je choisis de la reproduire pour vous ici.

Pour un peu de contexte : danah est en train de rédiger sa thèse, elle a besoin de temps et de concentration, elle a prévenu que les interactions avec ses lecteurs et/ou admirateurs allaient s'interrompre, et que le rythme de publication sur son blog allait ralentir... mais elle ne peut pas s'empêcher (!) de s'utiliser elle-même comme objet d'une nouvelle étude : "does work/life balance exist?"


PS - ceci est ma note numéro 200 ;)

"Un équilibre entre vie professionnelle et vie per

Puffins
sonnelle est-il possible ? "

Je lisais le New York Times par dessus mon bol de Puffins [voir photo] - eh oui, je n'ai pas réussi à me débarrasser de cette addiction-la non plus - lorsque mes yeux sont tombés sur un article : "Sur Internet, c'est on achève bien les blogueurs, ou les vingt-quatre heures du stress, sept jours sur sept" [traduction libre du titre original : « In Web World of 24/7 Stress, Writers Blog Till They Drop »]

L'article est désagréablement sensationnaliste et ne réussit pas a mettre en avant la problématique au cœur de la culture des blogs : les blogueurs bloguent parce que c'est leur volonté et parce qu'ils aiment CA.

A la base, bloguer faisait partie de la "culture geek". Comme les développeurs, les blogueurs se couchent à pas d'heure pour aller jusqu'au bout de leur inspiration et de leur passion. Quant a moi, ma santé s'est quand même nettement améliorée quand je suis passée de l'écriture de lignes de code à celles d'un blogue. Je ne descends plus mes deux bouteilles de 2l de Mount Dew [boisson gazeuse de prédilection des geeks américains] par jour. Maintenant j'ai un abonnement à un club de gym que je rentabilise à 50%. Si vous me trouvez pâlotte aujourd'hui c'est que vous ne m'avez pas connue avant.

En dehors de tout sensationnalisme, la clé est ici : celui qui est passionné par ce qu'il fait, ne se pose jamais de limites. Lorsqu'en plus, on a l'impression de vivre une compétition (réelle, ou imposée à soi-même par soi-même) il devient extrêmement facile de basculer hors-limites.

C'est évident, entre vingt et trente ans, je courais partout dans tous les sens pour ne rien rater, comme un poulet auquel on a coupe la tête. Ce n'était pas uniquement pour mon blogue, non je faisais ca pour "ma recherche". Il fallait que je sois au courant de tout et au moment exact ou cela se passait. Je surveillais les développements du web comme une buse dans les airs [danah dit : un faucon]. Mon blogue était devenu l'espace ou je déversais mon trop-plein d'énergie.

Je ne peux pas m'empêcher de craindre que tout cela ne nous mène pas sur le bon chemin.

Les étudiants hyper motivés se transforment vite en travaillomanes [workaholics], en compétition avec eux-mêmes, trop souvent soutenus et propulsés par des stimulants, qu'ils soient autorisés (comme le café), prohibes (comme la cocaïne), voire même prescrits (comme le Progivil). Leurs aines, et ceux qui autour d'eux souhaitent "avoir une vie", se désolent devant leurs comportements malsains et se détournent précautionneusement pour ne pas provoquer la réactivité de ces zombies surexcités.

Cela ne serait pas si grave et ne ferait finalement pas tant de dégâts, si cela ne se devenait une norme de fait qui se répand largement dans tous les secteurs de la vie professionnelle. De plus en plus, les bons employés sont ceux et seulement ceux qui ont versé du cote de l'addiction au travail. Dans de nombreux secteurs professionnels, ceux qui ne se poussent pas aux limites sont considérés comme paresseux. La pression existe pour travailler sept jours sur sept sans compter ses heures [24/7] et ils sont nombreux à obéir au doigt et à l'œil à cette incitation, même quand il serait évidemment de leur propre intérêt de ne pas oublier ce qui se passe a l'extérieur, en société, en famille.

Cela me rend folle de voir mes collègues (en majorité des hommes) faire des journées de 14 heures alors qu'ils ont des enfants petits qu'ils ne voient jamais. C'est une chose d'être accro à son travail quand on est un célibataire de 25 ans, c'est autre chose de l'être quand on est parent. Mon travail m'amène à observer l'autre cote du tableau : des ados en manque d'affection, acharnés à attirer par tous les moyens l'attention sur eux, cherchant éperdument de tous cotés des preuves de reconnaissance.

L'ennui c'est que le monde de l'entreprise ennoblit le travail addictif. Ceux qui du fait de leur âge, se voient obliges de quitter le mode de travail 24/7, découvrent alors l'existence d'un racisme anti-vieux dans beaucoup des secteurs de l'entreprise [danah dit : entreprise américaine, je choisis de généraliser]. Vous ne pouvez pas travailler 24/7 ? Désolés, cette promotion n'est pas pour vous. On n'en a rien à faire de vos enfants, de votre famille, de votre vie. Qui peut accepter d'entendre ca ? Qu'une star du foot soit payée des millions d'euros sachant qu'il partira à la retraite à la trentaine, soit. Mais comment accepter une vie durant le salaire d'un cadre moyen ou supérieur pour finir à bout de forces et sans avoir mis d'argent de coté.

Je ne cache pas que je dis tout cela maintenant parce que je suis une travaillomane qui voudrait réussir son sevrage. Ou plus exactement, qui souhaiterait tenter ce sevrage une fois que sa thèse aura été soutenue. Et qui se rend compte que c'est exactement ce qu'elle a déjà dit lors de précédentes tentatives, comme toute victime d'accoutumance qui se respecte - je ferais, ceci, cela, quand x, y, z.

Mais quand même, je ne peux m'empêcher de m'interroger : n'existe-t-il vraiment pas un moyen pour rester professionnellement au top tout en réussissant à tenir un équilibre entre travail et vie privée ? Est-il vraiment inéluctable de devoir accepter de renoncer à ma culture professionnelle pour "avoir une vie tout court" ?

[ traduction en francais de l'article de danah boyd : does work/life balance exist? ]


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