Max | La fille de l'hiver

Publié le 23 janvier 2013 par Aragon

Dieu que les hivers de Mazurie, Poméranie sont durs, effrayants ! Neige noire des années 44 & 45. Lene est aussi butée que la petite Kattaka et ce n'est pas peu dire ! Lene est septuagénaire, orpheline de sa vie sur laquelle des murs de neige de glace et de silence se sont entassés. Séracs de chair et d'os, de larmes, de refus de voir, culpabilisation sans fin...

Lene conserve seulement de son enfance une mystérieuse clé accrochée à une chaînette qu'elle défend bec et ongles contre toute intrusion de main étrangère. Kattaka de son côté a un vieux briquet patiné qu'elle défend de la même manière. Road movie. Kattaka part à la recherche de son père. Lene ne sait pas qu'elle part elle aussi à la recherche du temps perdu, meurtrier de sa vie.

Kattaka vient d'apprendre de la bouche de sa mère en cette veille de Noël que son père n'est pas son père, que son père, ce marin étranger russe mystérieux est à portée de mains, enfin presque. Voyage de Berlin vers la Baltique, vers Gdansk, vers cette Mazurie/Poméranie, royaume de glace et de neige. Lene la voisine d'immeuble de la famille à Berlin va l'embarquer dans son combi WW antédiluvien avec l'accord de ses parents... en route donc vers la Baltique, à la recherche de ce bateau qui doit y être relâché. En  quête de ce père.

La petite est quelqu'un ! Caractère bien trempé est un doux euphémisme. Rien ne saurait l'arrêter dans sa démarche. Lene en acceptant ce voyage, en proposant son aide à la gamine ne sait encore pas qu'elle roule vers sa propre délivrance, vers cette porte qu'il lui faudra ouvrir, franchir, pour voir enfin son passé, pour l'apaiser, pour tout remettre en ordre même si rien ne pourra jamais plus - évidemment - se réécrire. L'histoire, le passé, ne se réécrivent pas. On peut cependant, on doit les nommer, leur parler, les voir en face, prononcer les mots de réconciliation avec soi, ouvrir les yeux avec lucidité, pour être enfin en paix.

Dieu que la neige est noire et dure en Mazurie, Poméranie ! Lene se souvient et parle enfin à la petite Kattaka de son histoire, de cette marche forcée - toute petite fille accrochée à la main de sa mère - dans la neige, deux cents kilomètres de course contre la mort, population fuyant l'ignominie de la guerre. Lene parviendra au havre en son ancienne Allenstein. Elle retrouve la maison d'enfance, l'arbre et au coeur du tronc, au plus haut des branches dénudées par l'hiver, le trésor caché que sa clé va ouvrir. Kattaka, parallèlement, parviendra à "l'abordage" de son père, parviendra à arraisonner l'immense porte-containers à la coque luisante et noire. Miracle de la vie ?

Non, simplement : vouloir. Vouloir vivre, vouloir prendre ce temps de vie. Vouloir affronter les démons pour les exorciser. Refuser le silence qui tue, qui terrifie, tous les silences qui font que les neiges sont noires. Vaincre la peur par le miracle de la volonté, du courage. Faire que la neige redevienne joyeuse et blanche, terrain de jeux... Lene y parviendra soixante ans plus tard, Kattaka aussi.

Moment de grâce au cinéma Melies de Pau hier soir, semaine du film allemand (actualité oblige), présence exceptionnelle simple et douce d'Ursula Werner (Lene) formidable comédienne que j'avais tellement aimé dans "7ème Ciel". Elle nous dit en confidence que pour elle le moment le plus fort dans ce film c'est quand le petit copain & allié polonais de Kattaka lui demande si elle se sent à présent (elle vient de retrouver son père) russe, ou allemande, ou (en lui faisant un petit clin d'oeil) si elle n'est pas aussi un peu polonaise. Ursula nous dit alors dans un si beau sourire (j'y ai vu l'instant d'une seconde le même et si lumineux de Romy Schneider) que le plus important dans notre temps, dans notre époque - pour tous - c'est la fusion, c'est la réconciliation, c'est le mélange, la compréhension et le coeur. Courez voir "La fille de l'hiver" de Johannes Schmid !!!

http://www.pleinlabobine.com/pdf/2012lafilledelhiver1.pdf