Apologie de la boulette

Publié le 24 janvier 2013 par Nuage1962

Voilà un peu l’histoire de la boulette qui peut-être vous ne verrez plus la boulette de la même manière, ni faire les boulettes avec un mélange de votre crue .. au creux de vos mains … sans penser qu’il y a des temps immémoriaux .. les gens faisaient la même chose que vous
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Apologie de la boulette

Des boulettes poêlées, plongées dans un bain de friture, mijotées en sauce, à la vapeur, en soupe, en sandwich, sur la pizza, crues, farcies; c’est l’art subtil d’accommoder les restes, symbole par excellence d’une cuisine familiale, nostalgique et économique.

PHOTO : BERNARD BRAULT, LA PRESSE

MÉLANIE ROY, COLLABORATION SPÉCIALE
La Presse

Certains suggèrent que la boulette serait la plus ancestrale des traditions culinaires, qu’elle témoignerait d’un moment de raffinement dans la confection des plats cuisinés.

C’est du moins l’hypothèse défendue par Michèle Stroun dans son Histoire de boulettes du néolithique à nos jours, ouvrage dans lequel elle se lance en quête du commencement, de la naissance de la boulette originelle, mère de toutes les autres.

C’est dans le nord de l’Inde, dans le Penjab, 4000 ans avant notre ère, que Michèle Stroun se laisse aller à quelques spéculations archéologiques. Là-haut, on a trouvé les vestiges de deux grandes cités disparues, Harappa et Mohenjo Daro. Des civilisations prospères et avancées, qui possédaient, entre autres, des cuisines dans lesquelles on a trouvé des ustensiles conçus pour faire à manger: poêles en cuivre, vaisselles et plats, couteaux, mortiers.

Les recherches ont démontré qu’on mangeait de la viande attendrie au pilon, cuite dans l’huile de sésame et assaisonnée de moutarde, de curcuma et de gingembre. Si les traces d’épices ont pu être dépistées, c’est uniquement parce qu’elles avaient été incorporées au mélange. Faut-il y voir le premier ancêtre de la boulette? Les réflexions de Stroun mènent à cette conclusion. Si elles s’avèrent justes, la boulette serait ni plus ni moins une «invention» contemporaine de celle de la roue.

Selon Pierre-Brice Lebrun, auteur d’un rigolo Petit traité de la boulette, sa naissance croiserait plutôt, à la même époque, une découverte autrement historique: celle des épices.

On se trouve dans le sud-ouest de l’Inde cette fois, sur la côte de Malabar. La légende raconte qu’un pêcheur aurait eu l’idée de cueillir quelques grains de poivre pour en saupoudrer son riz et ainsi en améliorer le goût. Ce serait le point zéro de l’histoire des épices. Les baguettes, cuillères et fourchettes mettront encore quelques siècles avant d’être mises au point; aussi Lebrun imagine-t-il son pêcheur modelant avec ses doigts des petits tas faciles à consommer, avant de n’en faire qu’une bouchée…

Il faut se transporter dans la Rome antique pour trouver la première mention de la boulette dans un livre de recettes, le De re coquinaria d’Apicius, rédigé en latin vulgaire, dont la dernière version date du IVe siècle. On y apprend notamment que les Romains étaient experts dans la préparation des saucisses, hachis, quenelles, croquettes et autres… boulettes, auxquelles le deuxième chapitre est consacré. On y détaille des recettes simples: boulettes de grosses crevettes, boulettes à la brousse de brebis. D’autres légèrement plus surprenantes, comme ces boulettes à la vulve de truie, aromatisées de poireaux, de poivre, de pignons de pin et de brins d’aneth, ou celles composées de filets de paon, de mie de pain trempée dans le vin rouge et de myrtilles.

On raconte également que pendant l’Inquisition, pour piéger les juifs qui se déclaraient convertis, des informateurs servaient des albóndigas à base de viande de porc. Lorsque l’hôte annonçait la composition du plat, ceux qui refusaient ou recrachaient leur bouchée, ce qui trahissait leur véritable allégeance, étaient arrêtés sur-le-champ.

Depuis, les boulettes ont étendu leur souveraineté dans toutes les cultures et sur tous les continents: polpette, kefta, köttbullar, falafels, nuong, bitki, matzoh, knödel… Quelle gastronomie ne connaît pas la boulette, «à son aise dans toutes les cuisines», comme le rappelle Pierre-Brice Lebrun?

Poêlées, plongées dans un bain de friture, mijotées en sauce, à la vapeur, en soupe, en sandwich, sur la pizza, crues, farcies; c’est l’art subtil d’accommoder les restes, symbole par excellence d’une cuisine familiale, nostalgique et économique. Qui ne craint ni les variations, ni l’à-peu-près, ni l’improvisation. Il suffit d’associer des ingrédients qui font la paire, viande hachée, un reste de poisson cuit, légumineuse ou chair de saucisse, d’ajouter quelques herbes, épices, piment, ail, échalote, fromage, noix ou fruits secs, un oeuf pour lier la farce et de la chapelure pour enrober. Et entre les paumes de ses mains, de s’approprier un geste immémorial, mille milliards de fois répété.

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