Magazine

J’emmerde… (2) Florence Cassez

Publié le 24 janvier 2013 par Zegatt

Sortie d’avion, elle descend en treillis militaire pour être accueillie par le Président de la République. Partout sur internet, dans Paris, l’émotion est au rendez-vous, Sarkozy hissé au rang de héros : Ingrid Betancourt a été libérée. C’était en juillet 2008.

Dans un élan médiatique commun nous rappelant à échéance régulière le sort de la pauvre otage française, ici sur la place de l’Hôtel de Ville de Paris avec un panneau géant (photo et compteur quotidien à l’appui), ailleurs avec une manifestation de soutien, Betancourt a été mystifiée, dans un brassage d’informations où la seule constante était son innocence, sa naïveté, sa faiblesse, le fait qu’elle n’était qu’une victime, et uniquement une victime.

Bref, la Betancourt extraite de la jungle colombienne était une idole, un montage médiatique où ses soutiens ne cherchaient même plus à savoir qui elle était, pourquoi elle était otage ou dans quelles conditions elle l’était devenue. La seule chose qu’ils savaient, c’est qu’elle était innocente, et cela leur suffisait – quitte à être de véritables demeurés quant aux faits entourant l’affaire, quitte à ignorer complètement que, si Betancourt était devenue une affaire d’Etat, c’est aussi que le portefeuille derrière le permettait et que, dans le même temps, les autres otages français dans le monde, on n’en avait rien à foutre (après tout, eux n’était pas éligibles à la présidence d’un pays).

Fier de son succès sud-américain, Nicolas Sarkozy, premier bénéficiaire de l’affaire, comptait si possible remettre ça. Quitte à ce qu’entre-temps, le personnage Betancourt s’écroule au profit d’une réalité Ingrid plus en demi-teintes, moins emprunte de pureté que ses soutiens ne l’avaient fantasmée. Misses Ingrid y Presidenta Betancourt, Louis Stevenson revisité entre la jungle colombienne et les instances du pouvoir françaises.

Coup de bol pour Sarkozy ! Une autre pauvre française à secourir s’offre à lui : Florence Cassez.
Bon, le cas est un peu plus facile, il n’y a pas de groupe armé au milieu avec un nom bizarre comme celui de FARC, mais plus compliqué aussi, il y a un autre gouvernement démocratique au milieu : le Mexique. Du coup, évoquer l’affaire Cassez demande un peu plus de diplomatie, et ça le calme et la diplomatie, le petit gars à la tête de l’Etat, il connaît pas.

Conséquence : Sarkozy monte allègrement une sauce où il mélange culturel et politique et ne trouve rien de mieux que de faire exploser le tout au moment de l’année du Mexique, la faisant lamentablement planter (puisque, pour information, lorsqu’un pays est ainsi à l’honneur, ce n’est pas le pays invitant mais le pays invité qui paye les frais d’organisations).
Du reste, personne ne vient se demander pourquoi Florence Cassez, inconnue jusque-là, se met soudain à exister, pourquoi elle passe du rang d’inconnue à celui de victime à sauver. Et surtout, pourquoi arrêtée en 2005, Sarkozy ne se réveille qu’en 2009 avant d’en faire un véritable scandale en 2011 qui aboutit à l’annulation de l’année du Mexique ?

Hollande élu, il hérite de l’affaire Cassez et de son dénouement évident puisque les deux gouvernements incriminés, celui de Sarkozy et celui de Calderon ont disparu de l’échiquier. Nouvelle distribution des cartes. Hollande hérite gratuitement de son affaire Betancourt à lui, merci Nicolas qui pour sa part récupère une autre affaire homonyme, Bettencourt.

Le problème, c’est que, comme pour Ingrid Betancourt et ses supporters en son temps, personne n’en a rien à foutre de la responsabilité ou du statut de Florence Cassez, ou pour le coup de son innocence ou de sa culpabilité.
Mais, après tout, si les soutiens sont stupides – ou du moins aveugles – c’est non seulement parce qu’ils ne cherchent pas à se renseigner (ça, c’est de leur ressort) mais aussi parce qu’ils sont manipulés (et ça, ce n’est pas tant de leur faute).

Depuis le début, l’argument récurrent consiste à nous rappeler l’instrumentalisation de la justice mexicaine et le montage autour de l’arrestation de Cassez, mis en scène pour la télévision après qu’il ait déjà eu lieu. Et cela est bien sûr inadmissible.
Mais que devient l’instrumentalisation de NOS médias ?

Parce que si nous n’avons pas à soulever de problème dans notre système judiciaire, il semble évident que, comme il l’avait fait pour Betancourt, notre système politique a bien fait comprendre aux médias qu’il n’y avait qu’une seule histoire à raconter, l’histoire d’une petite française innocente, victime d’un méchant système étranger aux méthodes peu orthodoxes. Point final.
Mais une affaire comme celle-ci, cela implique une forme et un fond. Critiquer la forme, c’est une chose. Mais le fond ? A strictement aucun moment les médias français n’ont pris la peine de rappeler les faits, ou carrément de mettre en doute l’innocence de Cassez (quitte à maintenir, à juste titre que sa peine était complètement démesurée et insensée).
Rappelons que la Française, digne de s 3 singes sages, est supposée n’avoir rien fait, rien dit, rien vu quand son conjoint mexicain, Israel Vallarta Cisneros est accusé de dix enlèvements et un meurtre et comme étant le probable kidnappeur de la bande des Zodiaque, faits dont une partie a eu lieu pendant qu’ils vivaient ensemble.

Cela est une question judiciaire, et il ne revient pas d’attribuer une culpabilité ou une innocence ici. Uniquement de rappeler l’absence de tout doute dont la presse s’est fait le relais en évoquant l’affaire Cassez.
Pire encore, les médias sont les premiers responsables de ce qu’est Florence Cassez. Et il s’agit de toute évidence d’une mystification.

Depuis 2009, il n’existe que 4 photos de Florence Cassez utilisées à toutes les sauces par la presse :

J’emmerde… (2) Florence Cassez
Cassez - arrestation
J’emmerde… (2) Florence Cassez
J’emmerde… (2) Florence Cassez

Comme pour Ingrid Betancourt en son temps, le choix des photos n’a rien d’anodin. Grands sourires à l’appui quand Cassez est libre, vision de jeunesse et ambiance restaurant-plage à l’appui.
Légère vue en plongée lors de l’arrestation, yeux ébahis, blancs forcés pour nous mettre en scène une sorte de justice divine dont elle serait la pauvre victime, point central de l’image.
Puis, une fois sous les verrous, changement d’angles de vue et d’équilibrage des images avec des coupures 2 tiers/1 tiers, des plans rapprochés (on ne voit jamais son crâne entier), légère sensation d’étouffement entre les barreaux associés à l’air d’innocence et au plan serré, mains jointes en position de sainte.

Tout un montage visant plus à vendre Florence Cassez qu’autre chose. Cassez est devenue un produit publicitaire, un argument merchandising accompagnant la démonstration absente de son innocence. Sans passer par l’explication, on tombe directement à la conclusion : la pauvre est innocente, sortez-la de là !
La réflexion pourrait être d’ailleurs poussée au-delà, et il serait intéressant de voir, du côté mexicain, à quoi ressemble les photos de Cassez diffusées dans la presse. Il y a fort à parier que les symptômes seraient inverses…

Et pendant ce temps-là, qu’en est-il d’ailleurs du pays oppresseur ? La question aussi mérite d’être posée.
Car pour ceux qui auraient eu l’occasion de passer par le Mexique depuis février 2011 (scandale autour de l’année du Mexique/Cassez/Sarkozy), s’ils ont évoqué Cassez, les touristes français auront eu droit à d’âpres critiques sur notre gouvernement, notre pays, et tout ce qui s’en suit. Et ce n’est pas très gentil (venant d’un pays qui fausse ses médias et sa justice etc etc). Bon.
Mais nous ?
Nous, dans le même temps, la presse française nous aura vendu un pays de barbares où la seule actualité existante consiste en une succession de règlements de comptes plus sanglants les uns que les autres entre cartels de la drogue. Et rien de plus. Ah, si ! une fin du monde ratée pour le 21 décembre 2012. En somme un pays de brutes, où le tourisme se résumerait à éviter la violence présente – si tant est qu’après ce genre d’informations il reste encore des volontaires au tourisme sur ces terres étrangères. A la façon dont la Colombie équivalait à des terroristes de la jungle pendant que Betancourt y était perdue, le Mexique de Cassez est celui de la violence et de la corruption (Sarkozy s’étant assez bien débrouillé pour nous faire évacuer celui de la culture).

Voilà où nous en sommes aujourd’hui, tandis que Florence Cassez est libérée : bouffis d’extase, la presse et la majorité des citoyens français regardent avec les mêmes yeux ébahis qu’ils avaient eu pour le dénouement de l’affaire Betancourt, la revanche du citoyen français sur le monde sauvage de l’Amérique latine.
Après avoir hurlé au scandale, tout ce beau monde applaudit un procès de la forme. Sans se soucier une seule seconde de la question du fond. Sans se soucier pour l’autorité étatique du Mexique, sévèrement remise en cause ces deux dernières années (qu’en dirait-on dans le cas inverse ? mystère). Sans finalement connaître ne serait-ce que les grandes lignes de l’affaire Cassez, à peine capables du raisonnement suivant : c’est nous qui avons raison, les autres ont tort.

Pour ma part, j’emmerde donc Florence Cassez et l’affaire qui porte son nom. J’emmerde la mise en scène puante de nos médias qui tandis qu’ils incriminent le système mexicain oublie que le nôtre est également pourri et se permettent en prime de donner des leçons.
Tant mieux, après tout si Cassez est libérée face à une condamnation aux dimensions absurdes de l’autre côté de l’Atlantique. Ne comptez pas sur moi pour clamer son innocence pour l’instant. Ni pour faire l’apologie d’une affaire qui, somme toute, ne méritait pas plus que d’être réglée entre les couloirs de l’Elysée et ceux de Los Pinos, sans tout ce foin médiatique outrancier et malhonnête.

« La seule chose que je demande pour Florence Cassez, c’est un jugement impartial. »
- Ingrid Betancourt -



Retour à La Une de Logo Paperblog