Max | Un souffle sur les planches

Publié le 24 janvier 2013 par Aragon

Annie Rodriguez était bien la fée du logis en ce magnifique pôle culturel du Marsan de Saint-Pierre-du-Mont. Elle organisait aidée par une très efficace équipe de bénévoles un festival de théâtre amateur du 18 au 20 janvier apportant un grand souffle d'air vivifiant sur les planches du pôle et par extension dans tout l'espace culturel du département landais.

Les Landes ne "vivent" pas qu'à la belle saison, elles ne sont pas que plages estivales de sable blond bondées de hordes touristiques, océan de pins, fiestas & férias, rugby et foie gras. Les Landes sont aussi terres de théâtre. Des dizaines de troupes amateurs et professionnelles y croissent, y prospèrent librement comme gourbets et oyats sur dunes littorales. Elles sont terres d'auteurs et d'éditions théâtrales avec ETGSO (Ecritures Théâtrales du Grand Sud-Ouest) à Benquet...

Six pièces étaient données pendant ce festival, en entrées presque libres (5€ la place !), en moins de 48h. Performance de l'organisation parfaite et public répondant TRES nombreux au rendez vous. Plus de mille entrées payantes...

Ce n'est pas faire injure aux autres troupes qui étaient toutes remarquables que de dire que je veux surtout aller à mon essentiel. J'ai vu toutes les pièces proposées dans ce festival, j'ai vraiment vu de très belles choses, je me suis régalé... mais... c'est mon choix et je l'assume, je pourrais aussi invoquer le manque de place dans les colonnes de ce bloc-notes, qui ne peut pas s'étirer à perte de vue (le lecteur s'endormirait), 

Deux pièces coups de coeur : distillées par les Cies du "Collectif du Bocal" d'Aire-sur-Adour et "TN10" d'Aurice.

Choix personnel argumenté par le coup de chapeau que je veux rendre à ces deux troupes pour leur "engagement" total, leur formidable pari tenté et LARGEMENT réussi. Du théâtre contemporain avec ces deux pièces à hauts risques, jouées sans filets, qui m'ont laissées baba, sur le cul je dirais même !

Le Collectif du Bocal a présenté samedi soir une pièce de Léonore Confino "Building". "Building" c'est un monde, c'est un immeuble de verre et d'acier spectaculairement banal comme il en existe tant, un univers bureaucratique, technocratique, managérial, aux rouages parfaitement huilés qui produisent, distillent, affairisent, communiquent, DRHisent, spéculent, tentaculent et enculent (faut bien l'avouer), broient, crachent, éructent, ordonnent, désordonnent, managérisent, esclavagisent, tourne-boulisent, font et défont, crachent des bénéfices comme autant de noyaux d'olives qui pourraient être envoyés à la gueule de "l'autre" lors d'un apéro macabre, un microcosme (macro ?) où l'être humain n'a pas plus de valeur que peanut à ce même apéro... 

"Building" c'est une autre "Nef des Fous" que n'aurait pas désavoué, qui aurait même foutrement inspiré maître Hieronymus Bosch s'il avait connu notre techno-époque.

"Building" c'est un monde sans pitié, policé, organisé, réglé comme du papier à musique, millimétré, n'admettant que lui-même, interlope, souvent glauque malgré la brillance "voulue" du verre. Monde finalement tordu malgré la magnificence archictecturale, la verticalité arrogante, impeccabilité vénéneuse de l'immeuble : accrocher gogos, bourses & places financières, même et pourquoi-pas, les étoiles au plus haut des cieux... Amen !

Un building c'est ça, un building de business comme feu Monsieur Talleyrand-Périgord selon le mot célèbre de l'empereur soi-même c'est bel et bien de la merde dans un bas de soie...

"Building" la pièce, c'était là, avant tout, une éblouissante, judicieuse, inventive et très jouissive mise en scène, ballet fou et génialement beau visuellement, parfaitement-amoralement réglé, des effets scéniques ébourrifants, intelligents, originaux (les changements d'étages), c'était surtout l'autre soir des comédiens divinement inspirés.

"Building" le texte, n'est pas moralisateur. "Building" MONTRE... brut de décoffrage.

"Buiding" c'est la vitrine de gens dits civilisés, c'est un zoo aussi : des êtres-animaux tristes, enthousiastes, voraces et fous (selon) y tournent en rond, écrasent de temps à autre leurs visages contre les barreaux invisibles de cette prison de verre pour regarder un extérieur où ils n'iront plus jamais. Condamnés au travail - au malheur - jusqu'à ce qu'une immense bouche les expulse comme noyaux d'olive ou de cerise...

"Building" c'est un mirage qui te chante les même paroles que les sirènes dans l'Odyssée. T'attirer mieux encore vers les rochers. Te séduire pour te fracasser. Sociétés industrielles & commerciales sirènes sans âmes, sans coeur : animal à sang froid !

Il montre une certaine société, le visage d'un capitalisme outrancier, arrogant, pédant, fou, prédateur, parfaitement producteur et fier de l'être mais qui produit sur les femmes et les hommes qui y vivent qui en vivent qui y prospèrent qui y désespèrent bien souvent, le même effet que les immenses et verticales baies de verres sur lesquelles les pigeons (impressionnant "l'écrasement" des pigeons ponctués par des projos virant soudainement et au commandement du buzz sonore, au rouge-sang) et autres volatiles viennent métronomiquement et fatalement se fracasser...

"Buiding" : Un cimetière, une vaste piste d'atterrisage, d'écrasements plutôt, en tout genres ! Toutes tripes, toutes plumes, tous os, toutes cervelles, tous corps, toutes vies dehors. "Building" c'est finalement un peu comme une tour de contrôle enflée comme une baudruche de toute sa puissance démentissime qui donnerait ordre à tous les avions en approche de s'écraser.

Quel culot ! Quelle folie cette pièce ! C'est un peu comme si j'avais vu les news en couleur samedi soir. Mittal, Florange, Gandrange, Renault & PSA et consors en direct, en sanguinolent, en VRAI de VRAI... Incroyable troupe du Collectif du Bocal ! Comment ont-ils faits pour tenir la distance, le rythme, la fluidité, l'enthousiasme, le délire, le grave, le loufoque, faire passer le message de la môme Contino ! Par le travail bien sûr. Le travail et l'amour du "métier". Ils sont tous fous dans cette compagnie du Bocal, ils ont tous réussis une incroyable performance !!!

Bravo, BRAVISSIMO : comédiens, oui, très grands comédiens !!!

http://www.lepolecultureldumarsan.fr/culture/jsp/site/Portal.jsp?page_id=83

TN10 jouait en finale le dimanche 20, je l'attendais depuis longtemps, je la savais en préparation, j'attendais cette pièce de pied ferme, j'ai un amour immodéré pour Matéi Visniec, je l'attendais un peu comme le Messie ce "Spectateur condamné à mort". Avec un doute cependant car c'est un exercice redoutable que de mettre en scène et de jouer Viesnec !

Comment, mais comment ai-je pu vivre en moins de vingt-quatre heures de(ux) tels bonheurs ? Comme la veille j'ai été transporté, ébloui, tétanisé et ce, dès la première seconde.

Ces têtes de circonstance ! Ces têtes, ces tronches, ces visages, ces bouches, ces yeux ! Dès le début un comédien-ouvreur accueille le spectateur avec anxiété, avec fébrilité, le presse de s'asseoir, inquiet pour la suite, il sait, il pressent le "drame" à venir, le spectateur entre dans la salle, s'asseoit, il voit alors en plan fixe sur le plateau des visages qui vont le hanter longtemps, ce silence, avant "le cri" déchirant ce silence de plomb : "Mesdames et messieurs il y a un criminel parmi nous"...

C'est ça qui m'a énormémént touché dans la prestation de TN10, le spectateur associé, lié, embarqué, "partenaire", avec les comédiens dans cette pièce ! Où est la salle, où est le plateau ? Le spectateur est le onzième comédien, il écoute, il est surpris, il a peur, il réfléchit, quand le procureur va lui intimer l'ordre d'évacuer la salle, je vous jure qu'il est sur le point de lever son cul du fauteuil qui lui paraît soudainement moins confortable, prêt à partir... Tout s'installe immédiatement dans la salle, pas de préliminaires, on est dans la pièce : magie du théâtre contemporain ! Magie du sieur Matéi Viesnec, magie de la mise en scène et là je pense au théâtre classique qui nous dit que "la valeur n'attend pas le nombre des années", quand je sais que Barbara Suaud (la MES) est loin encore d'être trentenaire, comédiens magiques !

Spectateur associé, la lumière revient régulièrement dans la salle (à propos des effets de lumière : cette pièce est "lumineuse", elle est clarté souvent brute mais salutaire, elle ne s'enferme jamais dans le noir malgré le sujet abordé), les témoins sont dans la salle, l'accusé s'y terre, deux immenses cordes à linge balaient, traversent le public, des "preuves" sont épinglées dessus au vu et su de tous, tout le monde doit voir, doit savoir qu'il y a un criminel dans la salle, toi, moi, eux... Des documents sont distribués au public, encore des preuves qui circulent.... ça ne fait aucun "IL" est coupable mais qui ? toi, moi, eux...

Et je me suis retrouvé transporté moi qui n'y suis jamais allé bien sûr mais qui sait : au procès de Riom, celui de Prague, ceux de Moscou, procès franquistes, staliniens, kafkaïens, et tout se pêle-mêle dans ma cervelle en feu, dans celles des autres spectateurs : Costa-Gavras, l'Aveu, Guantanamo, Kampuchéa, procès iniques, immense vertige, immense dégoût, immense questionnement, folie des hommes, folie sans cesse recommencée, tout le monde sait que l'histoire se répète, effrayant Ouroboros... La voix du début résonne encore longtemps "Mesdames et messieurs il y a un criminel parmi nous..."

Le citoyen seul peut sauver "sa" démocartie, par son bulletin de vote, par les armes si nécessaire ! Cette pièce interpelle le meilleur de nous-même. Visniec qui sait de quoi il parle délivre là un texte n'admettant aucune contestation. Un texte magistral !

TN10 a su relever ce pari fou et osé, le temps passe sur le plateau et dans la salle, il est suspendu, les comédiens sont habités. Je veux tous les nommer, ils sont tous exceptionnels, le Juge : Xavier Lespinasse, le Procureur : Laurent Luce, le Défenseur : Thierry Janin, la Greffière : Alexandra Biotteau, Bruno (tickets) et metteur en scène : Christophe Sourrouille, la dame du vestiaire "Hilda" : Annie Profit, la serveuse Gudrun : Janine Perrine, la Photographe : Dorothée Mercier, la spectatrice et l'auteur : Nadine Emerit, le Soldat : Martial Sourrouille, je l'ai déjà citée à la mise en scène : Barbara Suaud, en Régie : Nathalie Cros (son) et Jos Verdier (lumière)... je ne veux pas oublier "mon" héros silencieux, le poisson rouge tournant sans fin dans son bocal d'eau fraîche, il tournera et hantera longtemps ma mémoire de théâtreux, mais avant tout ce soir-là, de spectateur comblé !

Je suis heureux car j'ai vu des comédiens heureux, de très bons comédiens, des comédiens se faisant plaisir et apportant un immense plaisir à des spectaurs reconnaissants qui eux aussi ont joué le jeu, les saluant d'une ovation à tout rompre... de toute façon par la magistralité de leurs jeux, les amarres étaient rompues depuis longtemps... e la nave va comme aurait dit maître Federico Fellini !

La Compagnie du Bocal, celle de TN10 n'apportent que du bonheur, courez vite les voir s'ils passent par chez vous !!!