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Joseph

Publié le 26 novembre 2012 par Descaracteres @descaracteres

Vers le val

Texte : Laurent Lebreton

Joseph

Illustration : Sophie Yin

La bataille était lointaine. A plus de neuf lieues. Il avait à peine lutté, n’avait usé de son fusil à baïonnette qu’une fois seulement, et ce vers le ciel.

Il était là, ne sachant pourquoi. Son père l’avait habillé de fierté et de boutons dorés et l’avait poussé dans les bras de l’armée qui partait guerroyer. Il ignorait pourquoi il fallait attaquer ou ce qu’il fallait défendre. Il ignorait pourquoi il devait tuer ou être tué. Il ne voulait pas savoir pourquoi.

Il regarda autour de lui, tous ces uniformes, ces corps frêles, tous identiques, pantins de toile et de boue, aux visages juvéniles. Sur certains se lisaient la peur ou la soumission, sur d’autres le désir d’action, de combat, sur d’autres encore la certitude du devoir, l’œil missionnaire. C’était là, dans leurs yeux, tout ce qui les distinguait. Il se demanda ce qu’on pouvait lire dans les siens. Rien, l’indifférence, l’étrangeté à tout ce qui l’entourait.

Aux premiers coups de canon, il avait su ; sa place n’était pas là. Il quitterait le champ de bataille, vif ou abattu, par les autres ou par les siens, par les siens ou par les autres, qu’importe.

Il partirait, il irait vers ce val lumineux, grimperait dans un arbre, regarderait les étoiles. Ailleurs.

Il tira une fois, plus comme une semonce, un signal de départ pour lui-même, que pour donner le change, puis posa son fusil et marcha droit vers la rivière.

Les monceaux de terre qui jaillissaient, il les vit à peine ; le bruit assourdissant des canons, des fusils, des bottes et des cris parvint à peine à son oreille ; l’odeur de poudre n’effleura pas ses narines. Il savait où il voulait aller, et surtout où il ne voulait pas être. Il songea à son père qui toujours l’exhortait à faire preuve de courage, de force, à être un homme. Il se sentait plus homme, plus humain, qu’aucun de ceux qu’il laissait derrière lui. Il faisait preuve de courage, et pourtant il songea que son père ne serait pas empreint de fierté devant ce spectacle. L’ironie de cette pensée le fit sourire.

Il ne sut jamais quel camp avait tiré. Les deux peut-être, car il sentit deux douleurs. Il tomba, se releva. Il marcha et marcha encore. Il atteignit la vallée, goûta le vent et la rivière, sentit l’herbe et la lumière. Il en oublia son flanc et les bruits qui résonnaient. Il en oublia le sang et la haine qui déversaient. Il s’allongea doucement, quand il le voulut, son sourire face au ciel et au monde.

Inspiré du Dormeur du val, d’Arthur Rimbaud.



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