Un Printemps à Tchernobyl - Emmanuel Lepage

Publié le 28 janvier 2013 par Olivbd

« Cette pluie tiède d'avril... Les gouttes roulaient comme du mercure. On dit que la radiation n'a pas de couleur, mais les flaques étaient vertes ou jaunes, fluorescentes. »

C'est un train de banlieue comme un autre. On y joue aux cartes, on plaisante, on bouquine. Sa destination, pourtant, est singulière : ces vieux wagons soviétiques convoitent vers la centrale électrique nucléaire de Tchernobyl... Les habitants de Pripiat, ville proche de 3km de la centrale sont évacués. Le coeur du réacteur a commencé à fondre, il est en fusion, c'est l'accident ! Nous sommes le 29 avril 1986, en pleine guerre froide, les informations circulent difficilement, le nuage de radio-activité, lui, avance trop rapidement... La totalité du circuit de refroidissement s'est volatilisé dans l'atmosphère emportant la contamination de ce césium 137 à des centaines (des milliers) de kilomètres de là. Kiev, à 120Km, Moscou, un peu plus. La Pologne, les pays scandinaves, l'Allemagne de l'Est, la Tchécoslovaquie, l'Europe, le Monde est dans l'angoisse. Fort heureusement ose t-on nous dire, il, le nuage, n'a pas traversé la France...

Le train circule toujours aujourd'hui. Par la fenêtre, des maisons inhabitées, un arrêt de bus délaissé, des engins oubliés, tous ces derniers stigmates d'une vie abandonnée il y a plus de 25 ans, à la suite de laquelle la nature a repris ses droits : les forêts aux couleurs printanières succèdent aux prairies marécageuses, où quelques chevreuils gambadent à quelques centaine de mètres de la centrale. L'atmosphère est apocalyptique, hostile. Mais, est-ce encore contaminé ? Sortir le dosimètre et le poser sur le sol : Tic Tic Tic ... 0,18 microsievert/heure. " Un bruit de fond " en somme !

Combinaisons, protections respiratoires, poches à chaussures, gants, dosimètres équipés d'alarmes, on ne travaille pas à la même vitesse à Tchernobyl qu'ailleurs dans le monde... Et le travaille de nos explorateurs artistes est de rendre compte pour une association en tenant une résidence sur place. Ce récit d'Emmanuel Lepage est un carnet de voyage au risque radioactif maîtrisé.

En dessinant ces maisons détruites, je ressens la même fascination romantique que le XIXe siècle a eue pour la peinture de ruines. Mais à Tchernobyl, la culpabilité s'en mêle.

Emmanuel Lepage a fait le voyage en train avec son ami peintre et illustrateur Gildas. Ils passent ce printemps de l'année 2008 accompagnés d'une jeune ukrainienne, Ania, leur interprète. Ils rejoignent Pascal (Ingénieur du son, photographe) et Morgan (musicienne, chanteuse), tous deux très engagés. Le séjour étant organisé par l'association « Les dessin'acteurs ». Emmanuel Lepage nous dresse seul mais avec de nombreux remerciements, un album sous forme de documentaire qui touche à l'intime. Le sien, le nôtre.

— Le sien, parce que nous suivons cette histoire du début du projet en novembre 2007 jusqu'à son terme, mai 2008. Nous l'observons dans la difficulté avec son poignet, atteint de la crampe de l'écrivain, il souffre, ne peut plus dessiner... Nous nous rendons compte des peurs de sa famille, de ses proches lorsqu'ils apprennent la volonté et l'enthousiasme de se rendre là-bas... Nous constatons les valeurs de l'auteur, ses forces aussi, moralement, mentalement, humainement, graphiquement.

— Le nôtre, parce que, je n'invente rien à dire que c'est encore dans nos souvenirs, et que c'est impossible de ne pas y être insensible. Même aujourd'hui nous ne sommes pas à l'abri...

Une histoire qui certes ne fait pas rêver au premier abord, mais cette proximité avec l'artiste et donc avec le lieu, force l'admiration et le respect. De ces images arrachées au passé, ce magnifique ouvrage rends mémoire aux enfants de Tchernobyl.

Vous pensiez tout savoir ou presque sur le sujet, et avoir trop entendu pendant vingt-cinq ans de ce "Tchernobyl", en commençant par ce mensonge d'État... et ce fameux nuage. Où comment ce mot "Tchernobyl", résonne avec "cancer" ou pire, "nucléaire"...

Oui, mais détrompez-vous et lisez cet album, il vous surprendra et plus d'une fois !


Un printemps à Tchernobyl d'Emmanuel Lepage

Éditions Futuropolis, 128 pages. 24,50 euros. Sortie le 4 octobre 2012.

A lire également :

« Les fleurs de Tchernobyl : carnet de voyage en terre irradiée »

Emmanuel Lepage et Gildas Chasseboeuf, Ed. La boîte à bulles, 64 pages, 17 euros.

Bonne lecture, OliV.