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Votre fumée montera vers le ciel (J. Bialot)

Publié le 28 janvier 2013 par Despasperdus

« Je crois que ma mère a, peut-être, pressenti le vide sidéral dans lequel ont vécu les déportés. (...) elle fêtait mon anniversaire deux fois par an, le 10 août pour l'état civil, lorsqu'elle m'a mis au monde, et le 27 janvier, jour de ma libération, date de ma sortie du monde. Elle n'a jamais posé de questions mais restait, les yeux mi-clos, totalement silencieuse, s'imprégnant de mes pauvres mots de tous les jours (...).»

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Dans le dernier chapitre de Votre fumée montera vers le ciel, édition augmentée de C'est en hiver que les jours rallongent, Joseph Bialot tente de faire comprendre combien il lui a été impossible de vivre normalement, de la difficulté de raconter l’innommable, comme tous les survivants des camps. Certains, bien des décennies après leur libération, malgré la publication de leurs témoignages et une vie bien remplie, se sont suicidés pour se débarrasser de leurs blessures et de ce sentiment d’impossibilité mêlée à la culpabilité .

« Nous sommes tous morts au Lager, tous. Un rescapé n'est qu'une apparence, une illusion à face humaine, qui continue à baiser, à manger, à travailler, à penser. Comme une dent dévitalisée. Elle est morte et continue sa fonction, mordre, dévorer, mais à l'intérieur c'est creux, vide...»

Joseph Bialot n'a commencé à écrire qu'à la cinquantaine passée d'excellents romans noirs où transparaissent parfois quelques sous-entendus sur son passé de déporté. C'est dans la dernière décennie de sa vie qu'il a réussi à narrer son expérience de pensionnaire du IIIème Reich, d'abord dans La station Saint-Martin est fermée au public, puis dans C'est en hiver que les jours rallongent.

« Le triomphe de l'Ordre noir tient surtout dans le fait qu'il a relativisé le meurtre, fait de l'assassinat une statistique, banalisé la torture, le crime collectif, inventé la mort globale, celle des hommes et de leur culture. Et ça, les humains ne l'oublieront pas, ça leur plait ! Trop ! Beaucoup trop ! Voir les informations du jour... »

Passé en zone libre sous une fausse identité, Bialot juif d'origine polonaise et proche du parti communiste, rejoint les rangs de la Résistance. Arrêté et torturé par la Gestapo, il est déporté. Il raconte son quotidien, les combines pour survivre, les travaux épuisants, les appels meurtriers, les droits communs, l'arbitraire, le désespoir, l'instinct de survie mais aussi le courage et la solidarité de ses camarades. Il narre aussi, la libération du camp par l'Armée rouge, les mois passés dans la Pologne libérée, le retour en France via Odessa par Marseille...

« Je suis entré à Auschwitz par la porte surmontée de «Abeit macht frei», et j'aurais pu quitter le camp par la cheminée et j'en sors par la muraille défoncée (...). Toute libération est un arrachement, une mort, une renaissance, même lorsqu'on sort d'Auschwitz. »

Inutile d'employer des superlatifs. Votre fumée montera vers le ciel est un livre dont on ne sort pas indemne. Ce n'est pas simplement un témoignage, mais également une réflexion sur la vie, les Hommes et notre présent.

« Le matin du 27 janvier 1945, j'ai vu des morts redevenir vivants. À cet instant très bref, tous les pyjamas d'Auschwitz, toutes origines confondues, les Juifs et les chrétiens, les Hongrois et les Polacks, les Français et les Allemands, les Tchèques et les Hollandais, les communistes et les nationalistes, les délirants, les raisonneurs, ceux qui, libres, allaient crever et ceux qui tenaient encore debout, tous ceux-là et tous ceux que j'oublie se sont aimés. Le 27 janvier 1945, des condamnés à mort ont enfin vu mourir la mort. »

Joseph Bialot s'en est allé le 25 novembre dernier, deux mois avant son deuxième anniversaire, dans le silence médiatique d'un pays moisi par l'idéologie du Front national.


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