Un excellent one-shot inspiré du 'miracle des Andes'
Une des rares contraintes imposées aux auteurs fut une pagination limitée à 80 pages par volume (hors intégrale), pour conserver un prix de vente attractif. Ce n'est que dernièrement qu'Aire Libre a dérogé à cette règle avec les épais Portugal de Pedrosa et Chère Patagonie de Jorge Gonzalez. Les grands rivaux de Dargaud et de Lombard lancèrent respectivement Long Courrier et Signé, pour contrer la machine de guerre Aire Libre, mais ils ne réussirent jamais à lui disputer le leadership dans ce créneau, malgré des catalogues intéressants. Comment expliquer le succès sans partage d'Aire Libre ? Sans doute par une maquette très réussie qui a donné immédiatement une identité visuelle forte à ses livres ainsi qu'à une politique éditoriale intelligente qui a su attirer les signatures prestigieuses parmi lesquelles celles d'auteurs devenus habitués de la collection (Servais, Stassen, Lax, Gibrat, Hermann, Cosey...) et ponctuellement celles d'auteurs venant d'autres horizons éditoriaux (Guibert, Blain, Baru, JC Denis, Blutch, Davodeau...).Par la suite, Aire Libre s'est construit un catalogue quasi irréprochable... et a cultivé une image de collection exigeante doté d'un certain regard sur le monde. A l'époque, je dois admettre que j'achetais presque tout ce qui sortait chez Aire Libre, sur la simple confiance en la ligne éditoriale de la collection, dirigée par Claude Gendrot.Je pense être loin d'être le seul.
Mais au fil des années, les nouveautés me surprenaient de moins en moins. Aire Libre s'est progressivement enfermé dans un style, une esthétique, des ressorts narratifs de plus en plus marqués. Ce qui était nouveau lors du début de la collection paraissait de plus en plus commun. Aire Libre voulait se différencier d'une norme. Elle est devenue une nouvelle norme, malgré une volonté évidente de renouvellement, ouvrant son catalogue à des auteurs représentatifs de la nouvelle génération.
Aire Libre continue d'exister, mais je dois reconnaître qu'elle n'a pour moi plus l'aura qu'elle avait. Déception de l'avoir vu victime de ce règlement de compte interne ? Lassitude devant une audace qui se faisait de plus en plus rare ? A l'exception du tome 3 de Zoo et de Minik, qui m'ont été offerts, le dernier Aire Libre que j'ai acheté est le dernier tome du Photographe, en 2006. Sans doute quelques livres pourraient me plaire,comme Portugal de Pedrosa , La Grande Odalisque de Vivès & Ruppert/Mulot et quelques autres. Mais, dans l'ensemble, je suis passé à autre chose
Reste une collection qui a compté, et compte toujours, sans doute, et qui possède quelques très bons titres. Sans vouloir pondre uneliste de plus de titre définitifs, je terminerai en citant quelques livres, pas nécessairement les plus connus, qui me plaisent toutparticulièrement.
- Le photographe, de Guibert et Lefèvre, intéressant mélange de bande dessinée et de reportage, qui préfigure la revue 21
- Jimena, de Binsfeld et Planque, un destin de femme sur un air de tango... tragique, forcément tragique
- Deogratias de Stassen, sur le génocide rwandais
- Monsieur Noir, de Dufaux et Griffo, variation noire sur Alice, mâtinée de Gormenghast
Le réducteur de Vitesse, de Blain
- Le réducteur de vitesse, de Blain, une histoire insolite à la frontière de Buzzatti, dans les entrailles d'un bateau
- SOS Bonheur, de Griffo et Van Hamme, une dystopie bien troussée
- Saigon-Hanoi, de Cosey, une merveille d'émotion qui repose sur trois fois rien, ce qui ne la rend que plus touchante
- Trois cheveux blancs d'Hausman et Yann, un faux conte de fée, parfaitement amoral et délicieusement pervers.