L'échotier culturel E.D. m'a passablement attaqué, ces derniers temps, auprès de jeunes écrivains qu'il sait mes amis et dont il était censé parler dans son journal. Son reproche vertueux: que je sois à la fois critique littéraire et écrivain. Ma réponse au tatoué de la Tribune de Genève.
Le pisse-copie de la Tribune de Genève m'en veut à mort, à ce qu'il semble. Or ce n'est pas d'hier. Cette grimace vivante me poursuit en effet de sa haine depuis une quinzaine d'années, comme il poursuit de son aigre mépris à peu près tout ce qui se fait dans ce pays en matière de littérature et de cinéma. Ce très méchant personnage aux aigreurs de vieille fille rancie dans l'exsudation de jalousie me reproche de cumuler les activités de critique littéraire et d'écrivain, selon lui incompatibles. Le tatoué me la fait à l'éthique: on aura tout vu.
Je pourrais évidement lui objecter que la plupart des critiques littéraires, et des meilleurs, sont à la fois des écrivains. Rien qu'à Genève, par exemple, les meilleurs chroniqueurs littéraires (sans parler de la prestigieuse Ecole de Genève, ressortissant à l'approche universitaire) furent à la fois des écrivains, à commencer par le très regretté Jean Vuilleumier - jamais vraiment remplacé à la Tribune de Genève en dépit de l'excellent travail de Serge Bimpage, lui-même écrivain, Georges Haldas et Jean-Georges Lossier (critique et poète) ou encore Jean-Michel Olivier, critique et romancier.
À Paris, l'on se ridiculiserait à faire le même reproche au non moins regretté Hector Bianciotti, critique irremplaçable et non moins admirable écrivain, comme on ferait figure de plouc en disputant à un Angelo Rinaldi sa double qualité de redoutable critique, aussi teigneux dans ses détestations que flamboyant dans ses éloges, et de romancier proustien; et les exemples pourraient se multiplier, de Jérôme Garcin à Jean Dutourd ou de Jean-Louis Ezine à Jean d'Ormesson, en passant par Philippe Sollers et Charles Dantzig, entre beaucoup d'autres.
Bref, je pourrais argumenter sans peine afin de réduire à néant ce reproche que me fait la cousine blette de la TG, s'il s'agissait vraiment de ça.
Or ce qui motive la haine à mon égard du pauvre E.D, n'a rien à voir avec cette objection jouant sur l'éthique professionnelle avec la dernière hypocrisie. Ce que me reproche à vrai dire E.D, est d'aimer la littérature et de la défendre de multiples façons, et plus encore: de faire en somme mon travail.
Ce que j'essaie de faire avec peine et amour, mais non moins d'allégresse et d'appétit, depuis plus de quarante ans en tant que critique littéraire (ma première chronique à la Tribune de Lausanne date de 1969) peut être évidemment critiqué, autant que mes vingt livres. À propos de ceux-ci, il est vrai que, parfois, j'ai mal réagi à des critiques que j'estimais injustes ou juste malveillantes de lecteurs superficiels ou nuls. E.D. en fut un de mon Sablier des étoiles, qu'il assassina en trois lignes baveuse qui jugeaient plutôt l'arroseur que l'arrosé. De cette "critique" débile nous avons plutôt ri, à l'époque, avec Alexandre Voisard également visé, et ce n'est pas pour ça que je réponds aujourd'hui au néant tatoué, même s'il a boycotté mes huit ouvrages parus depuis lors...
Ce qui m'importe, en revanche, est de réagir à l'impudence du fumiste qui n'aime rien et "freine à la montée", selon l'expression de mon ami Thierry Vernet visant la mesquinerie chafouine du milieu culturel romand. Ma réponse n'est pas à un critique, même fielleux, mais à un gâche-métier.
En vérité je suis un amateur ardent de littérature fulminante. J'ai la plus grande considération pour les imprécateurs à la Léon Bloy ou à la Thomas Bernhard qui bataillaient - même avec la plus effrontée mauvaise foi - pour des causes qu'ils estimaient justes: Bloy contre l'esprit bourgeois et TB contre la bassesse petite-bourgeoise. J'ai beaucoup appris, dès l'âge de 14 ans, à la lecture du Canard enchaîné, dont les Morvan Lebesque, Jérôme Gauthier ou Henri Jeanson étaient des polémistes et des stylistes défendant de vraies valeurs, fût-ce sur le mode anarchisant. Tous ces furieux-là l'étaient par amour, et c'est ce que j'aime chez eux comme j'ai aimé croiser le fer avec mon cher ami-ennemi Jacques Chessex, tandis que le pauvre E.D. n'aime rien que son petit moi maorisé, travaille mal et bave sa bile en posant au vertueux.
C'est contre cette tartufferie du tatoué que j'en avais ce matin. Je vais retourner maintenant à ce que j'aime, à savoir écrire et peinturer tranquillement dans mon coin, dans l'affection des miens. Cependant il me fallait ce coup de gueule un peu méchant d'un instant pour exorciser la méchanceté permanente de quelqu'un à qui je souhaite, ah sincèrement, de s'en libérer - on peut rêver ou quoi ?