44

Lors d'une réunion, j'ai découvert comme le Paris-Province existait encore. Et si le parisien aime à regarder d'un air hautain le provincial, qu'il soit heureux : côté Province, il existe le pendant, une sorte de complexe d'infériorité, qui fait regarder le parisien d'en bas.
C'est clair : Paris la ville lumière continue de faire briller les yeux, les oreilles, la bouche de ceux qui disent Paris.
Cinq lettres capitales pour le coup qui ne taisent pas une sorte d'admiration. Au contraire. Ils la lustrent. Ils la briquent. On imagine derrière l'articulation le waouh qui paillette. On voit la Tour Eiffel, les grands boulevards, tous ces noms magiques.
Le reste est à l'avenant.
Des professionnels qui viennent de Paris sont forcément des cadors. On n'ose du coup pas trop les déranger. Ou alors sur la pointe des pieds. On essuie nos bottes sales sur les tapis soyeux. On prie pour ne pas briser la porcelaine. On s'apprête à déguster en douces lampées leur parole, qui sera forcément d'or, puisqu'ils viennent de Paris. On les remercie déjà, dans leur grandeur, de nous accorder un peu de leur temps.
Peu importe d'ailleurs qu'ils soient en fait de Sarcelles ou de Créteil.
En Province, Paris, c'est immense, c'est tout ce rond autour de Paris, celui où arrivent tous les trains, d'où partent tous les avions. C'est toute l'île de France. En Province qui vient de près de Paris vient de Paris.
Alors quand je rappelle que ces cadors nous les payons pour qu'ils fassent un boulot et que tout Parisiens qu'ils sont, clients nous sommes, et que le mieux seraient qu'ils viennent sur place pour prendre note de ce que nous avons à leur demander, j'ai l'impression de commettre un crime de lèse-majesté. Je devine les "ohhhh" courroucés qui sourcilent autour de moi.
Soudain, le réel fait irruption dans l'imaginaire. Le rêve s'émousse.
Soudain, on voit deux types qui descendent d'un train et qui viennent nous écouter.
Il est chiant, le réel.