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Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les...

Publié le 20 décembre 2012 par Fabrice @poirpom
Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les...
Première galoche homo légale. 1989
Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les...
Certificat de mariage dEigil et d'Axel Axgil
Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les...
Axel et Eigil en 1950

Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

Extrait de l’Article 2 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Ce texte en tête, ils vont vivre leur vie. Souvent se battre. Se prendre des coups.
Être présent dans la mairie de Copenhague, un dimanche, fut le dernier des combats. Mais tout le monde, à commencer par Tom Ahlberg, l’adjoint au maire chargé de la célébration, s’est montré conciliant. Les employés municipaux ont tous répondu présent. Alors ce combat-là fut une formalité. À l’image de ce qu’ils s’apprêtent à faire.
Ils sont dans la salle dédiée de la mairie. Il y a là des journalistes. Difficiles de faire sans eux. Des micro-perches se baladent, des caméras crachent la lumière de leurs petits projos sur tout le monde, des appareils photos saisissent le moindre sourire, la moindre grimace. Leurs témoins sont là aussi. Des amis. De ceux à qui on demande d’être présent à ce moment-là.
Tom Ahlberg, l’adjoint au maire, tout de noir vêtu, se tient bien droit, un grand porte-document en cuir dans les mains. Au-dessus de sa tête, plantées au bout de bâtons, une petite demie-douzaine de marmottes. Les micros au bout des perches, donc. Il sourit comme seule une personne impliquée en politique sait le faire. Face à lui, le tout premier couple. Ceux qui ont vécu leur vie, l’Article 2 en tête. Eigil Eskildsen, soixante-sept ans, costume marron, chemise ton sur ton. Et Axel Lundahl-Madsen, soixante-quatorze ans, costume gris, chemise ton sur ton. Costumes et chemises: même tissu, même coupe. Dans quelques minutes, il s’écriront dans la même phrase.
Ahlberg se racle la gorge. Tout le monde fait çà. Tout le temps. C’est bon, il connait le laïus. Il l’a déroulé des dizaines de fois depuis qu’il a pris ces fonctions. Mais là, il s’est quand même entraîné la veille au soir. Il a bossé l’accentuation. Les emphases. Affection mutuelle, entraide, tolérance, harmonie.
I ask you Eigil Eskildsen, do you take Axel Lundahl-Madsen to be your lawful partner?
Pas de suspense. Ces deux-là, en 1948, montent F-48, Forbundet af 1948 (Association de 1948), la première structure activiste gay. L’année d’adoption de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme des Nations Unies.
Likewise, I ask you Axel Lundahl-Madsen, do you take Eigil Eskildsen to be your lawful registered partner?
Pas de doute de dernière minute. Six mois après la création de F-48, ils commencent la publication régulière de VENNEN (ami), la première revue ouvertement gay. Ils seront persécutés pour cela. Arrêtés en 1955 puis incarcérés pendant plus d’un an. Sur le motif d’une présomption de luxure concernant le magazine.
After you now solemnly declared your desire to enter into registered partnership with each other, I hereby ask you to sign.
Tout çà pour un papelard… Tous deux s’approchent du large bureau en bois sur lequel est posé le registre. Sur leur certificat, une singulière mention offerte par la loi: leur choix de nom de famille. Les deux ne peuvent réprimer un sourire. En 1955, pendant leur incarcération, ils prennent une décision: ils porteront le même nom. Et ils l’inventent.
Axgil. Première syllabe du prénom de l’un, seconde de l’autre. Au fil des ans, en bataillant avec les institutions publiques pour que la loi passe, un détail se glisse dans le texte qui sera voté le 23 mai 1989: celle de pouvoir créer leur nom de famille.
Aujourd’hui, il inventent une signature qui sera la leur.
Eigil et Axel Axgil
Aujourd’hui, dimanche 1er octobre 1989, date d’entrée en vigueur de la loi sur l’union civile entre personnes du même sexe votée le 23 mai, a lieu la première galoche homosexuelle légale du monde. À Copenhague, un peu après midi. Dix autres couples suivront ce jour-là.
La première union civile homosexuelle du monde. À quelques exceptions près, certes. Des emphases parfois soulignées. C’est une union civile. Pas encore un mariage (la loi l’autorisant n’entrera en vigueur que le 15 juin 2009 au Danemark). L’adoption n’est pas encore d’actualité. Rien ni personne n’est parfait. Mais tout avance.
La première union civile homosexuelle du monde. Après quarante ans de vie commune. Bien des combats et des audaces. La première union civile homosexuelle du monde dont les protagonistes ont toujours eu foi en des bafouilles qui peuvent sembler désuètes: les textes fondamentaux. Déclaration Universelle, Constitutions… Ces horreurs définissent et garantissent les libertés et les droits des êtres humains des pays où ils sont en vigueur. N’en déplaisent aux cons, comme aux biens intentionnés d’ailleurs qui ne sont pas en reste pour réagir à tort et à travers. Eigil et Axel Axgil l’ont gardé à l’esprit quarante ans durant. Aujourd’hui, ils savourent toute la portée d’un certain article 2.
Se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés […] sans distinction aucune.
En sortant de la mairie, un bon trois cents kilos de riz et de confettis (d’après les services de voirie et de collecte des déchets) tombe sur leurs crânes dégarnis. Ils sont acclamés par des milliers de personnes dans la rue. Non, tous ces gens-là ne sont pas invités. Mais toutes et tous sont les bienvenu(e)s pour célébrer. Eigil et Axel grimpent dans un carosse. Chevaux et cocher. Direction fiesta. La nuit sera longue. Même pour ces messieurs de soixante-sept et soixante-quatorze ans.
Sur leur route, à partir de ce jour-là: des voyages de noce à répétition. L’Afrique, le Brésil, la Chine, l’Asie du Sud-Est… Dès qu’ils ont le temps et les moyens, ils déguerpissent.
Le 22 septembre 1995, après six ans de mariage (à huit jours près), Eigil décède d’une crise cardiaque à soixante-treize ans. Axel décède bien plus tard, le 29 octobre 2011, à quatre-vint seize ans.
Il ne s’est jamais remarié.


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