Je suis abonnée au nouvel obs. J'imagine que j'ouvre ce matin ma boite aux lettres, et que j'y trouve mon magazine. J'imagine que comme chaque semaine, j'y trouve le supplément TéléObs. J'imagine que comme à chaque fois, je le trouve fort peu attrayant, mais comme chaque fois, je me dis que quand même c'est bien pratique, ce supplément. J'imagine qu'il va finir par passer sa semaine comme tous ses prédécesseurs sous mes télécommandes, et que je le feuilletterais distraitement les soirs ou je serais prise d'une irrépressible envie de regarder la télé sans pour autant avoir une idée du programme devant lequel j'aurais envie de m'abrutir.J'imagine qu'au moment ou je m'apprêterai à le ranger à cette place, je serais prise d'une urgente envie. J'imagine que je me rendrais là où je dois me rendre avec le TéléObs. J'imagine que celui qui n'a jamais lu le programme télé aux Wawas me jettera la première pierre. J'imagine que je le feuilletterai d'un oeil distrait sans vraiment m'arrêter sur les articles. J'imagine encore une fois que le premier qui lit les articles de TéléObs avec une attention soutenue aux wawas me jettera la seconde pierre.Mais ce que je n'arrive pas à imaginer, même en mobilisant toutes mes ressources, même en me concentrant très fort, c'est tomber entre le lundi et le mardi sur une pub anti IVG. Pourtant, de l'imagination, j'en ai. En abondance. A revendre. A l'excès. Non, ça je ne peux pas l'imaginer. Pas dans un pays ou je croyais acquise la liberté des femmes de disposer de leurs corps. Pas dans un pays où je pensais que le droit à l'avortement était un droit fondamental et inaliénable. Pas dans un canard qui publia fièrement le 5 avril 1971 le manifeste des 343. Pas dans un canard qui publia le 21 novembre 2012 un manifeste contre le viol.
image via @sbajos
Et pourtant. J'ai beau me pincer, je ne rêve pas. En pleine page, on me demande si je trouve ça normal. Vous voulez savoir? Non, je ne trouve pas ça normal. Et oui, ça me pose un vrai problème. Ce que m'évoque cette image c'est un dangereux retour en arrière, qui s'arrêtera sur ces tables de cuisine où nos arrières grand-mères, nos grands-mères et parfois nos mères ont souffert le martyr, et ont perdu la vie entre les mains de faiseurs d'anges. Cette époque où les femmes n'étaient pas même propriétaires de leurs ventres. Cette époque barbare que je regarde, l'épouvante dans les yeux, mais le soulagement dans le coeur, parce que ouf, au moins, je n'aurais pas à me battre pour ça.Je pensais que j'étais libre. Que j'avais le choix. Que je pouvais prendre mon destin en main. Je pensais que le mouvement logique de nos société était le progrès. Après tout, on est le pays des lumières? Celui des droits de l'homme? Je n'ai pas dû voir le moment où on a appuyé sur le bouton rewind. Je n'ai pas vu que l'obscurantisme était si près de nous qu'il avait réussi à se faire une place bien au chaud, à la gauche de Michel Drucker dans mon programme télé. Je n'avais pas vu qu'il se monnayait dans les services commerciaux des plus grands organes de presse française, qu'il s'achetait, comme on achète du Danone ou du CocaCola. D'aucuns me diront "oui, mais la liberté d'expression alors". Certains sont contre l'avortement. C'est leur droit le plus strict. Mais venir afficher leurs conviction en pleine page, c'est comme coller un pro-vie inquisiteur entre mes cuisses. Et ça c'est hors de question. J'ai le droit d'avorter. Je le revendique. Je ne reviendrais pas dessus, et vous non plus. L'histoire et l'actualité nous ont assez prouvé que ce type de revendication sont autant illusoires que mortellement dangereuses. Rien, absolument rien ne justifie que l'on revienne dessus. Il est question de liberté d'expression, mais il est aussi et surtout question de liberté d'exister en tant que femme. Alors voilà, je suis en colère. Mon ventre me brûle. Comment un de mes droits fondamentaux a-t-il pu être bradé au prix d'une pleine page d'un magazine TV? Suis-je moi aussi à vendre? Est-on prêts à tout sacrifier pour quelques biftons? Notre liberté? Notre dignité? Notre honneur? Chers gens du Nouvel Obs, nous savons tous que les temps sont durs, et que la faim justifie les moyens. Mais depuis quand avez vous changé au point de vendre vos compagnes, vos mères, vos filles, vos épouses, vos âmes?